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pour lequel nous n’avons ni barques ni voiles, mais dont la claire vision nous est aussi salutaire que formidable. »

On le voit, la notion d’absolu est loin d’être écartée par les philosophes du relatif, ni par Kant qui l’admet sous le titre de noumène, ni par Spencer qui en fait l’inconnaissable, ni par Littré qui l’appelle l’immensité, ni même par Hamilton, le plus critique de tous, qui reproche à Kant de n’avoir pas exorcisé la notion d’absolu et-qui lui-même la reprend à titre de croyance et de révélation merveilleuse. Dans toutes ces philosophies du relatif, l’absolu demeure à titre de substance indéfinissable et incompréhensible, mais non pas à titre de rien et de zéro. Nous ne le connaissons pas en lui-même ; mais nous le connaissons dans et par le relatif ; et ainsi encore pour toutes ces écoles, la philosophie pourrait être définie non pas seulement la science du relatif pur et simple, mais la science relative de l’absolu.

Tournons-nous maintenant du côté de ceux qui ainsi que nous admettent l’existence d’un absolu comme base fondamentale de leur philosophie, qui rattachent le relatif à l’absolu, non pour éliminer celui-ci, mais pour éclairer celui-là, qui admettent donc un point fixe antérieur et supérieur à toute série phénoménale, qui de plus croient que cet absolu n’est pas complètement inconnaissable, qui même vont encore plus loin et ne craignent point de le définir par le mot d’esprit, selon le mot de Hégel : « L’absolu, c’est l’esprit. » Demandons à ces philosophes, demandons-nous à nous-mêmes si nous avons le droit d’exiger une autre définition de notre science que celle que nous venons de donner, à savoir : la philosophie est la science relative de l’absolu. Je ne le crois pas. En effet si cette science n’est pas relative, il faut donc qu’elle soit absolue. Or, quel est le philosophe, si dogmatique qu’il soit, qui oserait dire de bonne foi qu’il possède la science absolue de l’absolu. L’absolu seul peut avoir la science absolue de lui-même. L’infini seul peut avoir la science infinie de l’infini. Dieu seul peut posséder la science divine. Cela résulte des termes mêmes. Même ceux qui pensent que l’absolu est notre fond, notre substance, notre être véritable, que Dieu, pour parler comme un philosophe contemporain, « nous est plus intérieur que notre intérieur, » même alors ces philosophes doivent reconnaître que cette intériorité fondamentale ne nous apparaît qu’à travers nos phénomènes, qu’à travers le temps et l’espace, et que nous ne pouvons nous connaître qu’en nous ignorant. Même dans ce cas, il serait vrai de dire que Dieu ne devient visible, selon l’expression de Bacon, que par un rayon réfracté ; même alors il serait encore vrai de dire que la philosophie est la science relative de l’absolu.

Un illustre écrivain qui a passé les dernières années de sa vie à