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DUNAN.l’espace visuel et l’espace tactile

afin d’y associer les sensations visuelles, ainsi que le prétend M. Bain. C’est encore le Dr Dufour auquel nous nous référerons ici pour les faits.

La veille du jour où eut lieu l’expérience des papiers que nous venons de rapporter, le Dr Dufour avait présenté sa montre à Noé M. qui ne l’avait pas reconnue ; puis il la lui avait fait toucher, et le jeune homme avait dit immédiatement : « C’est rond, c’est une montre[1]. » Mais, faute d’un examen suffisant de cette montre, l’aveugle n’avait pas gardé le souvenir visuel de sa forme ronde, et c’est pour cela que, le lendemain, il se trouva incapable de reconnaître cette forme dans le disque de papier. Au contraire, après l’expérience des papiers, il se trouva définitivement en mesure de distinguer les objets ronds par la seule sensation visuelle. Mais comment parvint-il à ce résultat ? En examinant attentivement, nous dit le Dr Dufour[2], le rond et le carré de papier, sans doute pour mieux se graver leurs formes dans la mémoire par comparaison de l’un à l’autre. À propos d’une autre expérience sur laquelle nous aurons à revenir bientôt, le Dr Dufour est plus net encore relativement à la manière dont Noé M. cherchait à graver dans son esprit les souvenirs des formes visuelles. Mis en présence de deux rectangles de papier blanc, l’un double de l’autre, le jeune homme ne put dire lequel était le plus grand ; mais il les toucha, et « glissant avec sa main jusqu’au bout du rectangle le plus long, il désigna immédiatement celui qui était de plus grande dimension, et les regarda ensuite l’un et l’autre attentivement[3]. » On voit qu’ici, comme du reste dans l’expérience du carré et du disque, le toucher intervient pour permettre à l’aveugle de reconnaître en présence de quel objet il se trouve ; mais c’est tout. Quant à l’opération que suppose M. Bain, consistant à parcourir avec la main les contours des objets, et cela un grand nombre de fois, jusqu’à ce que les sensations visuelles s’agrègent aux sensations tactiles et musculaires, et puissent devenir représentatives de ces dernières dans la conscience, il n’en est nullement question.

Est-il nécessaire après cela de rappeler les expériences très nombreuses, et toutes concordantes avec celles que nous venons de rapporter, qui ont été faites à la suite des dix ou quinze opérations pratiquées depuis Cheselden sur des aveugles atteints de cataractes congénitales ? On connaît le fait suivant rapporté par Cheselden

  1. P. 10.
  2. P. 10.
  3. P. 13.