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DUNAN.l’espace visuel et l’espace tactile

et qu’il ne reconnut pas comme étendue l’étendue visuelle, n’ayant encore dans l’esprit que l’idée de l’étendue musculaire, sans aucun rapport avec celle-là. Par là s’achèverait peut-être la démonstration de notre thèse. Malheureusement on ne voit point, dans tout le cours du récit que nous fait le Dr Dufour de ses expériences, qu’il ait porté ses investigations de ce côté, ni qu’il ait même songé à demander à Noé M. si les couleurs qu’il voyait lui paraissaient étendues. La vérification de ce point capital sera facile à obtenir la première fois qu’on opérera un aveugle-né, pourvu que celui-ci ait été jusque-là réellement aveugle. Pour le moment, il faut nous en passer. Mais ce que nous ne pouvons pas faire pour la perception de l’étendue elle-même, nous pouvons, comme on va le voir, le faire pour la perception du mouvement ; de sorte que le procédé de vérification en quelque sorte directe, qui nous manque d’un côté, va se retrouver d’un autre. On peut aisément prouver les deux points suivants : 1o que Noé M. vit dès le premier instant le mouvement de la main du Dr Dufour comme eût pu le voir un voyant depuis longtemps exercé ; 2o que, voyant ainsi ce mouvement, il ne put le reconnaître, ni même soupçonner ce que c’était ; d’où résultera cette conclusion assez nette, à ce qu’il semble, que l’impuissance de Noé M. à reconnaître le mouvement visuel tenait à ce qu’il avait dans l’esprit une idée du mouvement musculaire et tactile sans aucun rapport avec celle du mouvement visuel.

Pour établir le premier point, il suffira de montrer que Noé M., voyant la main du Dr Dufour comme une tache étendue, voyait aussi les différentes directions de cette main dans l’espace.

La question de la vision des directions, comme celle de la vision des surfaces, a donné lieu, chez plusieurs de ceux qui l’ont traitée, à des confusions étranges. Et, d’abord, qu’appelle-t-on direction ? Si, par ces mots : voir la direction d’un objet, on entend, comme le font les empiristiques, savoir quels mouvements devraient être exécutés pour marcher droit vers cet objet et pour l’atteindre, alors il est sûr que nous ne voyons pas les directions dans l’espace, du moins lorsque nous ouvrons les yeux pour la première fois. Mais si, au contraire, on considère que la direction, telle que peut la donner la vue, laquelle est sans doute une relation dans l’espace, pourrait bien, au lieu d’être une relation de certaines sensations visuelles à certaines sensations tactiles, être une relation des sensations visuelles entre elles, alors on n’hésitera plus à reconnaître que nous voyons immédiatement les directions. En effet Noé M., du moment qu’il voyait la main du docteur, devait nécessairement, et pour la même raison, voir l’habit noir sur lequel se détachait cette main, puis peut-être