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même largeur. — Que voyez-vous ? — Des objets blancs. — Sont-ils égaux ? — Il répondit avec hésitation : non. — Y en a-t : l un plus long que l’autre ? — Pause. — Lequel est le plus long ? — Pas de réponse. Pressé par moi, il déclara qu’il ne pouvait le dire[1]. » Puis il les toucha, et reconnut immédiatement le plus long des deux. Ainsi, mis en présence de deux objets en tout identiques l’un à l’autre, sauf à l’unique point de vue de la grandeur, c’est-à-dire de la quantité, Noé M. hésitait d’abord sur la question de savoir s’il y avait entre eux quelque différence, et ensuite ne pouvait dire quelle était cette différence. Qui ne voit qu’en demandant au jeune homme opéré lequel des deux carrés de papier blanc qu’il lui mettait sous les yeux était le plus grand, le Dr Dufour mettait en jeu chez lui l’élément à la fois le plus intime et le plus abstrait de l’idée d’espace ; et que si M. fut incapable de répondre, c’est que rien dans ce qu’on lui montrait ne pouvait susciter dans son esprit cet élément dernier ; qu’aucune analogie, si lointaine qu’elle fût, ne pouvait s’établir entre ce qu’il percevait et ce qu’il savait déjà ; l’hétérogénéité du nouvel ordre de ses représentations à l’égard de l’ancien était totale ?

Tels sont les faits que nous croyons militer le plus sérieusement en faveur de notre hypothèse de l’irréductibilité de l’espace visuel et de l’espace tactile. On aurait pu les multiplier beaucoup, surtout en ce qui concerne les expériences faites sur des aveugles-nés nouvellement rendus à la lumière ; mais nous avons pensé que ceux-ci suffiraient pour donner à la discussion et à l’interprétation une base sérieuse, sans fatiguer le lecteur d’un détail inutile.

(La fin prochainement.)
Charles Dunan.

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