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organisation que tous les individus de son espèce, finissent par se différencier les uns des autres ; car il leur est impossible de vivre exactement dans les mêmes conditions extérieures ; et toute condition extérieure spéciale qui est venue à un moment quelconque les affecter, s’est gravée dans leur mémoire, pour modifier d’une manière indélébile tous leurs actes à venir.

Je ne prétends pas du tout nier qu’il existe entre tel ou tel individu des différences individuelles. Dès l’origine l’âme de l’enfant n’est pas une page blanche sur laquelle on écrit ce qu’on veut, et il n’y a pas, à la naissance, entre tous les individus de l’espèce humaine la même uniformité qui existe entre tous les hannetons, je suppose. Mais les divergences sont moins grandes qu’on peut le supposer : Les mêmes objets font rire, pleurer les nouveau-nés de tous pays ; deux nouveau-nés se ressemblent d’une manière si saisissante par toutes leurs réactions qu’il est difficile de leur attribuer une individualité quelconque. Qui en a vu un en a vu cent mille.

Il faut aussi tenir compte, pour expliquer cette énorme divergence, de la complexité prodigieuse des phénomènes. Qui sait l’influence décisive, toute-puissante, que telle excitation, insignifiante en apparence, fixée dans le souvenir, exercera sur nos actes ultérieurs ? Il n’est peut-être personne parmi nous qui n’ait eu l’occasion de constater combien, à tel moment de notre vie, une phrase, comme jetée au hasard, a fructifié dans notre intelligence et décidé la direction de notre conduite. Chez tel nouveau-né, une excitation quelconque, qui n’a pas pu frapper le nouveau-né voisin, va déterminer une réaction réflexe et un souvenir. Or ce souvenir est capable de modifier définitivement les réactions ultérieures ; ce qui entrainera à l’origine une série légèrement divergente, laquelle, à la fin, va diverger extrêmement. Plus un appareil est complexe, plus une différenciation minime du début entraîne dans la marche ultérieure de l’appareil une différenciation profonde.

Emfin, quand nous disons une espèce animale, nous créons une identité qui n’existe jamais avec une netteté semblable dans la nature. Par exemple l’espèce chien existe assurément ; mais il y a aussi des races de chiens ; et certes l’organisation nerveuse mentale n’est pas identique pour un caniche, pour un basset et pour un lévrier. De mère dans l’espèce humaine l’organisation nerveuse mentale n’est pas identique chez un Arabe, un Nègre, un Chinois, un Européen. En outre, il y a non seulement des races, mais des variétés ; un Celte, un Germain, un Slave, un Latin, n’ont pas la même organisation : même il y a de notables différences pour telle ou telle famille de Celtes, je suppose ; et enfin dans la même famille il y a