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sans force. Certains individus, malgré un effort surhumain, ne peuvent pas arriver à se tenir debout : et ils doivent renoncer à continuer l’ascension.

Il y a là tout un ensemble de phénomènes réflexes d’arrêt qui portent autant sur les muscles de la vie animale que sur les appareils viscéraux.

Le phénomène est réflexe. Cela n’est pas douteux. En effet, supposons qu’un épais brouillard cache absolument la vue des précipices, en ne permettant de voir qu’à quelques pas devant soi : il n’y aura pas de vertige, et on marchera sur la crête abrupte avec autant de tranquillité que sur la chaussée d’une grande route. Donc c’est un réflexe qui a été provoqué par l’excitation rétinienne, puisque, quand l’excitation rétinienne fait défaut, le réflexe disparaît.

Mais il est évident que c’est aussi un réflexe psychique, puisqu’en eux-mêmes les rochers à pic et les pentes escarpées n’ont pas le don d’arrêter les battements du cœur et de paralyser les membres. Ce qui détermine le réflexe, c’est l’appréciation par l’intelligence de ces escarpements, et le jugement porté sur le précipice. Mais ce jugement, cette élaboration intellectuelle, consciente dans son résultat, inconsciente dans son mécanisme, est tout à fait machinale, involontaire, tellement involontaire, que, malgré tous les efforts de notre volonté, nous n’arrivons pas à donner quelque ombre de force à nos muscles paralysés. Au demeurant, qu’il s’agisse de réflexes de mouvements ou de réflexes d’inhibition, il y a toujours une étroite relation entre le phénomène réflexe qui se manifeste chez tel ou tel animal et la nécessité vitale : c’est-à-dire que l’acte est toujours adapté aux conditions biologiques de l’animal. Cela est vrai des actes réflexes simples ; cela est vrai aussi pour les actes réflexes psychiques ; le fait psychique ne modifie en rien l’adaptation merveilleuse du mouvement aux besoins de l’être. Mais il faut bien remarquer que si, pour les réflexes d’organisation, cette loi de l’utilité se vérifie absolument, elle n’est pas vraie pour les réflexes d’acquisition, qui sont tellement variables, selon les souvenirs antérieurs, qu’il est parfois bien difficile d’y trouver quelque raison d’être biologique.

Nous pouvons de toute cette discussion conclure : les mouvements de réponse aux excitations périphériques sont, suivant l’intensité de l’émotion, des mouvements localisés, des mouvements irradiés, ou des « actes d’ensemble. Ce sont tantôt des phénomènes d’inhibition, tantôt des phénomènes d’action. Plus ou moins soumis à l’influence de la volonté, ils ne sont pas provoqués et mis en jeu par la volonté ; et les uns et les autres semblent avoir pour but d’assurer la vie de l’individu et de l’espèce.

(La fin prochainement.)
Ch. Richet.