Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
440
revue philosophique

Ce qui donne, en outre, une réelle valeur à cette expérience, c’est que Mme B. n’a jamais été malade pendant tout son séjour à Paris. C’est la seule fois qu’elle n’est pas descendue pour le déjeuner. De plus, le lendemain jeudi 20, elle s’est sentie encore toute souffrante de l’expérience de la veille, si bien que j’ai eu beaucoup de peine à calmer son agitation nerveuse, et que je n’ai pas réussi à dissiper une céphalalgie intense qui l’a prise dans la nuit du mercredi au jeudi, et qui ne l’a pas quittée un instant jusqu’au vendredi matin. À moins d’admettre l’hypothèse, assez peu vraisemblable d’après ce qui précède et ce qui suit, d’une série de coïncidences, on ne peut s’empêcher de supposer qu’il y a quelque relation entre cette indisposition et une action à distance trop longtemps continuée.

Septième expérience. Cette expérience étant, à mon sens, la meilleure, la plus démonstrative, je dois la rapporter aussi avec détail.

Pour Léonie B. la journée du vendredi, moins mauvaise que celle du jeudi, avait été assez pénible encore. D’un autre côté, j’avais eu beaucoup à faire ce jour-là, si bien que je ne puis arriver chez M. X. qu’à 6 h. 10. Je trouve Léonie B. très fatiguée. Comme j’étais pressé, devant aller ce même soir au théâtre, je dis à Léonie B. avec la conviction qu’on met à dire ce qu’on pense sincèrement : « Je ne vous endormirai pas aujourd’hui. Îl est tard, vous êtes fatiguée, et je n’ai que trop peu de temps à moi. » Alors elle, à demi contente, rentre dans la cuisine en disant à C. : « Puisque M. Richet n’a pas besoin de moi, je m’en irai dimanche matin. »

Tout d’un coup, alors que je prenais congé de Mme X., l’idée me vient d’essayer d’endormir Léonie B. Je tiens à remarquer que cette idée m’est venue alors seulement que Léonie B. était sortie, et que par conséquent rien, dans mes paroles ou mes gestes, n’a pu indiquer une intention que je n’avais absolument pas.

Alors je fais semblant de sortir, je ferme la porte d’entrée avec bruit, et je me glisse sans le moindre bruit, dans le salon, lequel est séparé de la cuisine par l’antichambre et la salle à manger. J’avais prévenu Mme X. que je restais ; mais je lui avais expressément recommandé non seulement de ne prévenir personne (c’est-à-dire C. et Léonie), mais encore de ne pas les voir ni de leur parler, même pour leur dire des choses insignifiantes, de sorte que, depuis le moment où j’avais dit adieu à Léonie, Léonie n’a pu voir ni Mme X. ni moi, mais seulement C., qui était, elle, absolument persuadée que j’étais sorti.

Alors, à partir de 6 h. 20, j’essaye d’agir sur Léonie B. et de l’endormir à distance. J’entends Léonie qui traverse l’antichambre et remonte dans sa chambre, à 6 h. 25. À 6 h. 34 Mme X… entre dans le salon où je suis. Je lui demande de faire descendre Léonie par l’intermédiaire de C. Souvent on la prie ainsi de descendre, car la chambre où elle couche est froide. D’ailleurs C. qui monte dans la chambre et voit Léonie B. ne se doute pas un instant que je suis resté dans la mai-