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ou auto-suggestion n’eussent pu être invoquées. Léonie ne pouvait soupçonner mon intention, et cette intention était invraisemblable. De fait, l’expérience a absolument échoué ; mais un fait négatif ne prouve rien, d’autant plus que l’état de réveil récent est peut-être une condition défavorable. Nous ignorons tellement la nature de ces actions à distance que toute supposition est admissible, quant à ce qui touche la difficulté du succès.

Enfin, pour cette observation de sommeil provoqué par la montre en or, je ne puis conclure qu’elle entache d’erreur mes expériences antérieures. C’est de l’hypnotisme, dans le sens que Braid attachait à ce mot, et il n’est pas douteux que Léonie ne puisse, comme tous les sujets somnambuliques semblent le faire, ressentir les effets de la fixation d’un objet brillant.

II

Avant de conclure, je voudrais mentionner deux expériences inédites, faites par M. Janet, en ma présence, sur Léonie, au Havre, pendant le mois de septembre 1886.

Dans une première expérience, me trouvant le samedi, à midi, à déjeuner avec M. Janet, nous décidons ensemble que M. Janet, vers 3 heures et demie, essayerait d’endormir Léonie à distance. Chez lui, à un kilomètre environ de la maison où demeure Léonie, et sans qu’il ait pu voir Léonie depuis le moment où nous avons pris cette résolution, il fait effort pour l’endormir de 3 h. 33 à 3 h. 45. Puis nous allons chez Léonie, et nous arrivons chez elle à 4 heures précises. À ce moment elle est en état de somnambulisme, et elle dit à M. Janet : « Vous m’avez endormie à 3 heures et demie. Il était 3 heures et demie passées, mais c’était très près de 3 heures et demie. »

Le lendemain à 2 heures et demie, je vais chez M. Janet, et je lui conseille d’endormir Léonie plus tôt que la veille, sans pour cela arriver plus tôt chez elle. Il y consent et fait effort pour l’endormir de 3 heures à 3 h.12. Nous restons encore une demi-heure sans aller rue de la Ferme, où demeure Léonie. Il est 4 heures quand j’arrive : or j’avais prié M. Janet de me laisser arriver seul. Léonie était endormie, et, d’après ce que me dit Mlle Gibert, elle était réveillée à 3 heures, mais à 3 h. 15 elle était probablement endormie, autant qu’on peut en juger par le changement qui s’est fait subitement dans ses allures. Il va sans dire que Mlle Gibert m’a donné ces indications sans que je lui aie, en quoi que ce soit, indiqué l’heure à laquelle M. Janet a commencé à agir. Quant à Léonie, interrogée sur l’heure à laquelle elle avait ressenti le début du sommeil, elle dit qu’il était 3 h. 20. On peut donc admettre l’heure de 3 h. 15 à 3 h. 18 comme étant vraisemblablement l’heure à laquelle elle s’est endormie. Cette heure concorde bien avec 3 h. 12, heure à laquelle M. Janet avait agi en effet. Il y eut donc là un retard notable, mais, dans toutes les expériences antérieures, ce même retard avait été observé.