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société de psychologie physiologique

a été faite d’une manière irréprochable. Si l’expérience était irréprochable, rien de plus juste que notre calcul des probabilités, mais nous ne sommes pas sûrs que nous n’avons pas triché quelque peu, malgré nous, sur les heures, en donnant, sans le savoir et sans le vouloir, des indications quelconques à Léonie, de sorte que le calcul des probabilités appliqué à des données aussi arbitraires et inexactes est un leurre.

Un autre calcul, tout aussi peu applicable et légitime, donnera encore une probabilité très faible. Le choix de l’heure à laquelle le sommeil devait avoir lieu portait sur les heures suivantes… de 8 heures du matin à 5 heures du soir,… ce qui fait, en fractions de vingt-cinq minutes, environ vingt et une fractions par jour. La vraisemblance que le sommeil de Léonie va coïncider précisément avec la fraction de vingt-cinq minutes pendant laquelle j’aurai essayé de l’endormir est une probabilité de 1/21 Or, sur neuf expériences, j’ai réussi six fois. D’après une formule connue, la probabilité d’obtenir ce succès est de deux millionièmes. C’est donc une probabilité extrêmement faible, et le succès entraînerait la certitude, s’il n’y avait pas toujours cette sorte d’arrière-pensée que les expériences ne sont pas irréprochables, et que par conséquent le calcul des probabilités ne peut leur être appliqué.

Quand on dit que ces succès peuvent être dus au hasard, on n’est pas sincère avec soi-même. Ce n’est pas cela qu’on veut dire. On suppose que l’expérience a été, d’une manière ou d’une autre, mal faite, et on attribue au hasard des assemblages qu’il ne peut donner.

Une probabilité d’un millionième n’est pas nulle théoriquement : mais en fait elle est nulle, aussi bien dans les sciences les plus solides, comme la physique, la chimie et la zoologie, que dans les sciences les plus hypothétiques. La probabilité que je vais mourir d’ici à cinq minutes est précisément d’un millionième à peu près. Je considère cette minime chance comme tout à fait négligeable. Les jurés, quand ils déclarent la culpabilité de tel ou tel criminel, savent bien qu’il y a beaucoup plus d’un millionième de chance pour que l’accusé ne soit pas coupable. Cependant ils n’hésitent pas ; car cette minime chance d’innocence équivaut en fait à la certitude de la culpabilité.

Ainsi l’hypothèse du hasard doit être absolument repoussée. Le hasard ne donne pas de semblables coïncidences, se répétant régulièrement un très grand nombre de fois. La question n’est pas de savoir si le hasard peut donner des coïncidences n’ayant qu’un millionième de chance ; car, en fait, jamais le hasard ne les donne ; mais seulement si l’expérience a été bien faite.

Il faut laisser de côté l’hypothèse d’une simulation machinée de longue main et avec art, par une série de trucs et de supercheries adroitement combinés. Léonie B. a été observée avec assez de soin par M. Gibert, par M. Janet et par moi, pour qu’il me paraisse au plus