Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
454
revue philosophique

moyenne des Parisiens (1357 gr.)[1]. Je ne rappellerai pas ici les nombreuses raisons pour lesquelles il n’est plus permis de douter aujourd’hui de la relation importante qui existe entre l’intelligence et le développement quantitatif du cerveau. La réalité de cette relation est démontrée par une foule de comparaisons entre les différentes espèces d’animaux, entre les anthropoïdes et l’homme, entre les peuples sauvages et les civilisés, entre les imbéciles et les hommes ordinaires, entre ceux-ci et les hommes distingués par leur intelligence. Chez ces derniers, un grand poids cérébral est la règle ; un poids cérébral inférieur à la moyenne est une rare exception, très rare si l’on ne tient pas compte, ainsi qu’on l’a fait trop souvent, des cerveaux d’hommes remarquables morts à un âge très avancé, alors que le cerveau peut avoir perdu jusqu’à des centaines de grammes de son poids. Je n’insisterai pas davantage sur ce sujet que j’ai traité dans un mémoire spécial[2] ; je ne veux pas conclure du reste, de l’infériorité du poids cérébral de Gambetta, que celui-ci était d’une intelligence au-dessous de la moyenne : le poids n’est pas tout dans un cerveau. Gambetta pouvait avoir et avait certainement de nombreuses qualités cérébrales qui lui conféraient une supériorité physiologique à certains égards, mais il n’est pas moins évident qu’il manquait d’une qualité cérébrale dont peu d’hommes remarquables sont dépourvus et que ce défaut devait correspondre de son côté à une certaine infériorité psychologique. En d’autres termes, quelles que fussent les qualités d’esprit de Gambetta, il était dépourvu de celles qui correspondent à la supériorité du poids cérébral, et qui doivent être importantes, puisque la supériorité en question fait si rarement défaut chez les hommes illustres ou simplement connus comme s’étant élevés au-dessus du vulgaire.

Parmi les 45 hommes de cette catégorie dont on a pesé les cerveaux, il s’en trouve seulement trois qui, morts avant l’âge de soixante ans, ont présenté un poids encéphalique inférieur à la moyenne. Ces trois hommes sont G. Harless, physiologiste, Senzel, sculpteur, et Gambetta. Parmi les 35 hommes de la même catégorie dont j’ai calculé le poids cérébral d’après les capacités de leurs crânes (collections de Gall et Dumoutier), moyen d’évaluation moins sujet à l’erreur que le pesage direct du cerveau, six seulement sont restés au-dessous de la moyenne, à savoir : Roquelaure, évêque, aumônier de Louis XIV, de Terrin d’Arles, antiquaire, Alxinger, poète allemand, Cerachi, statuaire, et Wurmser, général autrichien célèbre par ses défaites. Cela prouve qu’on peut être évêque, général, statuaire, etc., sans avoir un gros cerveau ; que l’on peut devenir comme Gambetta avocat de talent, député, ministre, chef de parti, sans posséder toutes les qualités cérébrales. Il n’y a là

  1. Voir à ce sujet la communication de M. Mathias Duval à la Société d’anthropologie de Paris et la discussion qui suivit cette communication. (Bull., 1886.)
  2. Mémoire sur l’interprétation de la quantité dans l’encéphale et du poids du cerveau en particulier. (Mém. de la Soc. d’anthropologie de Paris, 2e série, t.  III.)