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société de psychologie physiologique

rien d’étonnant au point de vue psychologique et rien d’offensant pour la mémoire d’un homme d’État dont on peut avoir admiré l’éloquence et le patriotisme, sans conserver pour lui une sorte de culte fétichiste. C’est formuler une opinion absolument scientifique, et dont personne ne saurait être blessé que de dire : Quel qu’ait été Gambetta, il eût été supérieur à ce qu’il fut au point de vue psychologique, si à ses autres qualités cérébrales se fût jointe une supériorité pondérale.

Cette supériorité, Adolphe Bertillon la possédait. Bien que sa taille fût très petite (1 m. 56), son encéphale pesait 1398 grammes, c’est-à-dire une centaine de grammes de plus que la moyenne des Parisiens de même taille. Une telle différence entre Gambetta et Bertillon correspondait-elle à quelque différence psychologique ? Sans aucun doute, car, à supposer que le cerveau du premier possédât de nombreuses qualités absentes chez le second, de façon à établir une sorte de compensation à l’infériorité pondérale constatée plus haut, cette compensation ne constituerait pas une similitude. L’anatomie comparative, en effet, montre que l’accroissement du poids cérébral, indépendamment de la masse du corps, possède au point de vue psychologique une valeur propre. L’homme ne possède sur les autres animaux aucune supériorité anatomique plus marquée que celle du poids cérébral (étant tenu compte de sa taille) et il est légitime de considérer cette supériorité comme corrélative à celle de son intelligence. Il n’y a peut-être pas de caractère cérébral pouvant être rattaché d’une manière plus générale à la supériorité intellectuelle considérée dans son ensemble, si ce n’est la perfection de la circulation, de la nutrition du cerveau. Nous pouvons juger avec une facilité relative des effets psychologiques des modifications de ce dernier ordre, car nous les voyons se produire successivement chez un même individu et nous pouvons en produire à volonté au moyen de certains ingesta, tels que le café au moyen duquel nous pouvons accroître notre activité cérébrale. Gambetta me semble avoir été remarquablement doué sous ce rapport de l’activité, de la rapidité du fonctionnement cérébral, qualités éminemment favorables à l’orateur. Mais il s’agit là peut-être bien plus de cette forme de supériorité psychique ordinairement désignée sous le nom de facilité, de brillant, etc., que de la forme désignée de préférence sous le nom de puissance intellectuelle, de profondeur, etc. Une supériorité pondérale du cerveau (toujours à masse organique égale) comporte une supériorité numérique des éléments cellulaires, la possibilité de connexions et d’arrangements supérieurs en nombre, en complexité, et corrélativement de correspondances, d’associations, de combinaisons psychiques plus variées, plus complexes et plus parfaites en un mot. Telle était, peut-on supposer, la supériorité du savant Bertillon sur l’orateur Gambetta. Mais la comparaison de ces deux hommes illustres, il faut le reconnaître, ne peut être que d’un faible secours dans l’éclaircissement de la question qui vient d’être posée, car nous ne connaissons que très superficiellement les deux cerveaux et non moins superficiellement les deux