Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
473
BINET.le problème du sens musculaire

autres états qui se produisent en même temps et nous attestent également que le mouvement commandé se réalise ?

Chez un sujet normal, cette distinction est-elle possible ? A priori, on serait tenté de répondre par l’affirmative ; car le sentiment de l’innervation est, par définition, antérieur au mouvement ; il coïncide, comme on sait, avec le courant de sortie de l’influx moteur, dans les cellules nerveuses de l’axe cérébro-spinal ; il se produit donc avant que le courant soit arrivé dans les muscles, que les muscles se soient contractés, et que le membre ait subi un déplacement. Au contraire, les sources d’information provenant de la vue, de l’ouïe, des sensations centripètes du mouvement, n’interviennent que plus tard ; il faut que le mouvement soit déjà réalisé, au moins en partie, que les muscles se soient contractés et que les membres aient changé de position pour que ces sensations centripètes se produisent. Il y a donc donc là une différence dans le temps. Le sentiment de la décharge est antérieur au mouvement ; les sentiments kinesthétiques sont postérieurs.

Ce qui rend absolument impossible la distinction de ces deux espèces de sentiments, c’est la réviviscence des impressions kinesthétiques ; ces impressions ont, comme celles de la vue, leurs images ; elles sont au besoin rappelées dans la mémoire et y vivent d’une vie idéale. De même que nous pouvons, les yeux fermés, nous représenter la couleur blanche d’une petite boule que nous venons de manier, nous pouvons nous rappeler aussi le poli de sa surface, sa résistance, son poids, c’est-à-dire les qualités que nous avons appréciées à l’aide de notre sensibilité kinesthétique. Ces images qui proviennent des mouvements ont souvent reçu, dans ces dernières années, le nom d’images motrices. C’est encore là un terme ambigu, comme celui de sens musculaire ; d’une part, il peut convenir au sentiment hypothétique de l’innervation centrale ; image motrice voudrait dire image de la décharge motrice ; d’autre part, on peut désigner par ce mot le rappel idéal des sensations kinesthétiques ; dans ce dernier cas, image motrice devient synonyme d’image centripète du mouvement ou d’image kinesthétique. C’est cette dernière expression que nous emploierons, car elle est très correcte et très claire.

Ainsi qu’il est facile de le comprendre, l’existence des images kinesthétiques complique singulièrement le problème du sens musculaire. En effet, ces images ne sont point nécessairement postérieures au mouvement exécuté ; après avoir senti une première fois l’impression engendrée dans notre membre par une de nos mouvements, nous sommes capables de raviver cette impression avant de