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Curtins, député des Grisons, et Favon, député du canton de Genève au Conseil national (soit à la chambre des députés) de la Confédération suisse, reprenant une proposition émise il y a déjà trois ans par M. Frey, de Bâle-Campagne, aujourd’hui ministre plénipotentiaire de la Suisse aux États-Unis, ont déposé la motion que le Conseil fédéral (l’exécutif) « soit invité à négocier avec les nombreux États qui possèdent ou qui préparent une législation sur le travail dont les principes concordent avec la législation fédérale, afin de régler les points suivants par des traités internationaux ou par une loi internationale :

« 1o Protection du travail des mineurs ;

« 2o Limitation du travail des femmes ;

« 3o Repos hebdomadaire ;

« 4o Journée normale de travail. »

Si pareille initiative devait être prise quelque part, la Suisse, pays aujourd’hui pacifique, pays industriel, État neutre et choisi à ce titre comme siège de plusieurs offices internationaux, semblait en effet le lieu désigné. Nous ne songeons point à discuter ici les chances de la proposition transcrite, non plus que son opportunité. Nous ne toucherons pas même à toutes les questions de philosophie sociale qu’elle soulève. Les deux premiers articles ont rapport au droit de famille : ce sujet mériterait une étude à part que nous n’abordons pas aujourd’hui ; le troisième ne touche à la religion qu’en apparence, preuves en soient les décrets de la Révolution qui, en supprimant la semaine et le dimanche, établirent le décadi ; mais sous le point de yue économique et social, c’est de la durée du travail qu’il s’agit, l’idée est au fond la même que celle du dernier article et ce que nous dirons de celui-ci vaudra pour le précédent. Nous voudrions donc apprécier au point de vue philosophique l’idée d’une loi internationale limitant la durée du travail des salariés. La philosophie dont nous partons a pour objectif la liberté, et c’est dans leur rapport avec la liberté que nous examinerons aussi brièvement que possible, d’abord la question prise en soi d’une durée maximale imposée au travail contractuel, puis celle de savoir si la loi proposée pourrait et devrait être rendue internationale, question qui conduit à examiner l’idée d’une législation internationale en général, les rapports entre la pluralité des nations et la liberté, entre la souveraineté nationale et le droit.

I. La journée normale en principe.

Notre pensée ne s’arrête pas à l’individu, l’individu n’est à nos yeux qu’un organe et sa liberté d’action un moyen, un moyen de