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CH. SECRÉTAN.questions sociales

réaliser la liberté substantielle, qui est le bien, qui est l’unité. Mais cette unité qui est le bien, c’est l’union des volontés, cette liberté substantielle naît de l’accord des libertés formelles dans la spontanéité de l’amour. La conservation, le développement des libertés formelles est la condition d’un tel accord, le plein développement des différences individuelles le fondement de la parfaite unité. Nous estimons donc que, dans la société normale, la contrainte doit être réduite au minimum. Nous restons invinciblement fidèle aux préceptes de cette école libérale (souvent, hélas ! peu consciente de son véritable objet) qui ne restreint l’activité des individus que pour leur en garantir la disposition dans l’égalité. Croyant au droit, nous cherchons en vain qui aurait un titre pour exiger davantage, nous demandons ce qui autorise une majorité à prescrire à la minorité sa conduite au delà de l’indispensable.

Les règles que nous posons comme l’expression du droit sont invoquées par l’école économique orthodoxe dans l’intérêt de la richesse publique. Cette richesse, qu’il lui plait d’identifier avec la prospérité, se forme par l’addition des biens particuliers ; et la somme totale lui importe seule. Pour l’accroitre, elle s’en remet avec confiance aux efforts des individus, mus chacun par son intérêt personnel. Elle ne demande à l’autorité que de s’abstenir et de faire respecter à tout prix les relations de droit existantes : liberté des contrats, liberté des échanges, laissez faire, laissez passer. Au point de vue abstrait de la richesse nationale ou de l’accumulation des biens dans un pays, nous ne faisons aucun doute que cette doctrine ne soit la vraie. Mais, s’il s’agit d’en tirer des conséquences pratiques, tout homme qui n’a pas d’intérêt à fermer les yeux comprendra qu’au point de vue politique lui-même, le chiffre de la richesse entassée n’est pas tout, et que sous certains régimes l’obéissance de tous les sujets, sous d’autres la santé, la vigueur, l’intelligence, le contentement du grand nombre des citoyens n’importent pas moins, et peut-être davantage, que le montant de cette addition. À la considérer en soi d’une manière exclusive, cette richesse nationale n’intéresserait que le comptable et le savant. D’un côté la puissance de l’État, de l’autre le bonheur du peuple, du plus grand nombre possible de particuliers, tels sont les buts positifs, les buts concrets qui s’offrent aux efforts de l’intelligence et de la volonté, sans sortir du point de vue des intérêts, dans lequel, par définition, l’économie est confinée. Mais la puissance collective résultera de la richesse publique et de la prospérité générale, et pour celle-ci, sans être fort d’une conviction bien arrêtée, nous penchons à croire que le jeu libre des activités privées serait encore ce qui permettrait au plus grand nombre d’arriver à la