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sont-ils pas trop petits encore pour résister à tous les dangers extérieurs possibles, et déjà trop grands pour apercevoir les diversités locales et pour gouverner chacune de leurs provinces selon ses besoins particuliers ? Les amis de la liberté ne poursuivront pas une concentration qui ne pourrait s’établir que par la tyrannie, mais ils demanderont si le droit de guerre et de paix vaut bien les sacrifices qu’il exige. Voyant l’utilité de la centralisation dans l’intérêt de la défense nationale, ils cherchent les moyens de décentraliser au dedans, tout en s’élargissant et en s’affermissant au dehors par des alliances ; ils se poseront la question de savoir si la confédération, type de l’organisme supérieur, n’est pas l’idéal de l’humanité. Les États-Unis de l’Amérique du Nord semblent balancer déjà notre Europe par l’importance de leur production comme par la grandeur de leur territoire, et l’idée des États-Unis d’Europe a conquis des adhésions trop nombreuses pour n’y voir désormais qu’une vaine utopie, car nous ne croyons pas à la sincérité de tous les dédains, la grimace en est si commode ! Le socialisme est déjà fédéré, comme la démocratie était fédérée en ce vieux temps de la jeune Allemagne et de la jeune Italie, qui n’a pas laissé de marquer sa trace. La répression cherche de même à s’organiser, ainsi qu’elle était organisée autrefois en Sainte-Alliance contre les aspirations constitutionnelles. Si la pacification essayait de s’organiser à son tour, ce serait peut-être une première étape. Mais nous n’avons ni le désir ni le congé de parler ici politique, nous restons en philosophie, où nous avons avancé cette thèse dont il nous semble difficile de contester l’exactitude : une pluralité d’États indépendants frappant d’impossibilité la pleine réalisation du droit et rendant le droit tout entier précaire, contredit la raison d’être de l’État ; la pluralité des États est la négation de l’État.

Que cette pluralité nuise au développement économique et au bien-être individuel par les charges militaires, chacun le sait pertinemment ; qu’elle s’explique néanmoins et même se justifie par de fortes raisons, nous ne songeons pas à le mettre en doute. Que chacun soit attaché à son coin de terre et à son histoire, nous l’approuvons absolument ; que le droit ne soit pas l’unique intérêt du cœur et de la pensée, nous l’accordons aussi ; bien que, pour notre compte, nous ne puissions rien placer au-dessus du droit, sinon la raison du droit. La question présente serait de savoir si cette pluralité d’États souverains met un obstacle insurmontable à la protection qu’en vertu de ses propres antécédents, comme en raison de ses propres nécessités, chacun d’eux doit à ceux de ses ressortissants que l’appropriation des instruments de travail a rendus dépendants d’une autre