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VARIÉTÉS


TRAVAUX RÉCENTS SUR VICO[1].

Vico était mort en 1744. Michelet le ressuscita en 1827. Personne, en France, ne le connaissait avant cette date ; mais aussitôt parue la traduction libre de la Scienza nuova, il devint l’auteur à la mode. Ballanche l’exalte et le pille ; Cousin déclare — c’était faux que la Science nouvelle a dû servir de modèle à l’Esprit des lois ; Lerminier salue dans le philosophe napolitain le précurseur de Wolf, de Niebuhr, de Hegel ; Jouffroy regrette qu’il n’ait pas mieux connu l’histoire : il aurait découvert la loi du développement de l’humanité. Michelet réimprime, en 1835, sa traduction et la fait précéder d’un choix d’extraits du même auteur. Mais la princesse de Belgiojoso n’est pas satisfaite de ces traductions libres et morcelées : elle donne, en 1844, une traduction littérale de la Science nouvelle et Mignet y met une préface. C’est en somme à Michelet que Vico a dû de jouir, il y a cinquante ans, d’une grande réputation chez nous et même en Europe, sans en excepter l’Italie. Mais, comme la mode était venue, elle a passé, et Michelet n’a pas été le dernier à déserter les théories qu’il avait révélées avec une ferveur juvénile et la partialité d’un inventeur.

Il reste, en effet, bien peu de choses des théories de Vico, telles du moins qu’il les avait publiées. Mais le mérite d’un philosophe ne se mesure peut-être pas au résultat positif, définitif, de ses recherches. Dans les grandes chasses on distingue ceux qui tirent le gibier, et ceux qui battent la campagne pour le faire lever et le rassembler. Vico fut un grand rabatteur d’idées, et si elles n’étaient pas toutes bonnes à tirer, peu importe : l’œuvre de ce professeur de rhétorique à l’université de Naples n’en est pas moins l’une des plus intéressantes à étudier.

  1. Les deux ouvrages les plus récents, à ma connaissance, qui traitent de Vicot, sont deux ouvrages étrangers : celui de M. C. Cantoni : G.-B. Vico, Studii critici e comparativi, Torino, Civelli, 1867, et celui de M. Flint, publié en 1884 dans la jolie collection des Philosophical Classics, chez Blackwood and Sons. M. Cantoni, aujourd’hui Recteur de l’Université de Pavie, a composé, depuis, trois volumes sur la philosophie de Kant, dont j’ai signalé aux lecteurs de la Revue le rare mérite. M. Flint est assez connu par ses belles études sur la philosophie de l’histoire, dont M. L. Carrau a traduit deux volumes (Germer Baillière, 1878). Ces deux écrivains ne s’accordent pas toujours dans leur jugement sur Vico, mais ils professent pour lui la plus grande estime l’un et l’autre, et, chose curieuse, c’est l’historien anglais qui l’admire avec le moins de restrictions.