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travaux récents sur vico

italienne. Il approfondit ce qu’il savait déjà de l’histoire et de la philosophie anciennes, de la morale et de la jurisprudence ; il fit une étude toute particulière des poètes. Il se plaisait à passer d’un auteur ancien à un auteur moderne du même genre, poètes ou prosateurs, et cette comparaison lui révélait toute la supériorité de la littérature latine. Il ne put malheureusement étudier Platon et Aristote que dans Marsile Ficin et Suarès ; mais il se familiarisa, autant qu’il est possible de le faire sans savoir le grec, avec les principales théories de ces philosophes. Il semble qu’il ait laissé en dehors de ses investigations personnelles, si fructueuses, les sciences qui n’étaient peut-être pas alors assez débrouillées pour pouvoir être étudiées sans maître, et dont le langage encore barbare, à son gré, le rebutait ; je parle surtout des sciences physiques, car il paraît avoir eu quelque connaissance des mathématiques, et, comme nous le verrons plus tard, en avoir très bien démêlé la véritable nature.

Lorsqu’il revint à Naples, d’où il ne devait plus sortir, Vico se trouva comme dépaysé dans son propre pays. Il avait achevé de se former seul, j’entends par là, de se former, en dehors de toute convention, par l’étude de l’antiquité classique. Loin de fermer les livres, comme Descartes, pour n’étudier qu’en lui-même, il s’était mis à l’école des meilleurs maîtres de l’humanité, et il avait cherché à profiter, loin de les mépriser, de tous les progrès qui constituent proprement l’œuvre sociale, qui se font par la collaboration inconsciente de tous les individus et se traduisent par les progrès du droit. Or, pendant son absence, la méthode de Descartes avait trouvé, à Naples, beaucoup d’imitateurs. Mais cette méthode, Descartes lui-même l’avait expressément déclaré, n’est pas faite à l’usage de tout le monde et de tous les jours, et, comme elle était appliquée sans ménagement, par paresse ou par vanité plus que par réflexion, elle n’avait pas tardé à produire les plus fâcheux effets. Déjà le goût des lettres et de l’histoire s’était affaibli ; on négligeait l’étude de l’antiquité, celle du droit, on prétendait juger de tout par soi-même, et, dans la confusion des opinions personnelles, la science se perdait et le scepticisme gagnait du terrain. À l’âge de vingt-six ans, tout pénétré de respect, comme il l’était, pour les anciens et la tradition, Vico était isolé au milieu de ces cartésiens inconsidérés : il ne pouvait s’entendre avec eux, et quelle que fût sa reconnaissance pour celui qui avait affranchi la pensée moderne, il trouvait que ses disciples perdaient, par leurs exagérations, le fruit de cette révolution, salutaire en de certaines limites. Joignez à cette difficulté de s’accorder avec ses contemporains, la nécessité de vivre de sa plume, en un temps et dans un pays où les écrivains avaient si peu de liberté, et vous aurez une idée de la dure condition où notre philosophe fut réduit à son retour de Vatolla.

Il se fit poète à gages. Il composa des poèmes en l’honneur des grands seigneurs qui pouvaient les payer. Il écrivit en italien et en latin, en vers et en prose, sans reculer toujours devant les plus basses flatteries, et quelquefois, hélas ! sans craindre de désavouer ses préférences les