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plus légitimes et d’insulter à la justice. Toute sa vie, il recourut à ce genre de profits ; ses Canzoni, ses éloges et ses épitaphes étaient comme des intermèdes réguliers à ses travaux. Il avait acquis d’ailleurs assez vite une certaine réputation dans cette spécialité, si l’on peut ainsi parler, et il se fit surtout remarquer par la pureté et l’élégance de sa prose latine. Il obtint, en 1697, le titre de professeur de rhétorique à l’université de Naples. Il avait vingt-neuf ans et il ne put jamais, malgré son mérite, s’élever plus haut. En 1722, il concourut pour une chaire de droit, dont le revenu était six fois plus considérable que celui de la chaire de rhétorique. Il avait tous les titres pour y être appelé et il fit voir dans une leçon préparée en vingt-quatre heures combien il était digne de l’occuper : elle fut donnée à un rival dont le nom est inconnu aujourd’hui. Il s’était marié vers l’âge de trente ans ; sa femme n’avait ni instruction ni dot. Ils eurent plusieurs enfants. Avec son traitement de 100 ducats environ et le produit de ses œuvres de circonstance, ils vécurent. Il put aussi faire imprimer les ouvrages qui ont permis de le ressusciter. En résumé, simple professeur de rhétorique, il avait lutté contre la mauvaise fortune et, malgré les conditions les plus défavorables, déployé la plus rare activité d’esprit, exploré tous les domaines et partout semé des idées, sinon toujours justes, du moins souvent profondes et originales[1].

Il passe, et l’on a peut-être raison de le prendre pour le fondateur de ce que l’on appelle la philosophie de l’histoire. Machiavel, Campanella et Bodin avaient sans doute publié des considérations philosophiques sur le développement des nations, et Bossuet avait composé le Discours sur l’histoire universelle ; mais tandis que ces écrivains subordonnaient l’histoire ou à la politique ou à la religion, Vico, le premier, voulut faire de semblables considérations le sujet d’une science spéciale et indépendante. Cette science devait naitre de l’union de la philologie et de la philosophie, la philosophie révélant l’absolu et l’immuable, ce que l’homme devrait être, la philologie (et il faut prendre ce mot dans son sens allemand[2], c’est-à-dire comme désignant l’ensemble des connaissances relatives au passé) apprenant ce que l’homme a été réellement et ce qu’il est. Une critique nouvelle servirait à dissiper les obscurités des âges mythiques et permettrait ainsi de constituer une histoire enfin certaine et raisonnée.

C’était un beau programme. Il est presque inutile de dire qu’il n’a

  1. Les ouvrages de Vico sont d’abord ses discours académiques, au nombre de sept, prononcés à la rentrée solennelle de l’Université, de 1699 à 1708, dans lesquels on peut suivre le progrès de sa pensée philosophique. En 1710, il publie la première partie, la seule qui ait paru, de son traité : De antiquissima Italorum sapientia ; en 1720, le De uno universi juris principio et fine uno ; en 1721, Liber alter qui est de constantia jurisprudentis ; en 1722, des notes sur l’origine des poèmes d’Homère ; en 1725, Principi di una Scienza Nuova d’intorno alla comune natura delle nazioni, et en 1730 une nouvelle édition, entièrement renouvelée, de son Magnum opus, sous le titre de Seconda Scienza Nuova.
  2. Erkenntniss des Erkannten, — cogniti cognitio.