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travaux récents sur vico

Vico a eu du moins la sagesse de ne pas chercher dans l’étude du passé des règles pour prévoir l’avenir. Il était trop modeste et trop timide pour y songer. Mais il était en même temps philosophe, c’est-à-dire faiseur de systèmes, et il l’a bien montré en proposant certaines hypothèses qui ont eu des fortunes diverses.

À dater de ce réveil de la race humaine, il distingue trois périodes : l’âge des dieux, l’âge des héros et l’âge des hommes. Dans l’âge des dieux, l’homme est encore surtout un être sensible ; il est religieux par l’imagination plus que par la raison ; il se représente les dieux comme des êtres visibles et croit les sentir présents partout autour de lui ; il adopte un langage et fonde des familles dont le père est à la fois le roi et le prêtre. C’est le temps de la divination, où tous les phénomènes ont un sens divin : Jovis omnia plena, le temps des mythes, où les poètes étaient les seuls savants, les seuls précepteurs du peuple et croyaient tout les premiers à leurs fictions. Quant à la matière de ces mythes, Vico propose deux hypothèses, l’une dans le De constantia juris, l’autre dans la Science nouvelle que l’on pourrait concilier, mais dont il adopte en définitive la moins vraisemblable. D’après la première, les dieux sont la personnification des forces naturelles, des grands phénomènes que nous présente le monde et aussi des choses les plus nécessaires à l’homme, comme le feu et le blé ; d’après la seconde, ce seraient surtout les faits les plus remarquables de la vie sociale qui auraient inspiré les poètes de ce premier âge et ceux du second, l’âge des héros. Dans cette deuxième période, le monde des dieux et celui des mortels sont mieux séparés que dans la première. Le langage se perfectionne, est moins mêlé de pantomime : les choses y reçoivent des noms qui n’évoquent pas nécessairement une idée religieuse ; mais les termes abstraits y sont encore très rares et les métaphores abondent. Ce qui caractérise surtout cet âge des héros, ce sont les luttes, les combats tels que nous en trouvons le récit dans les poèmes d’Homère. Ces poèmes, pour Vico, qui le premier a soulevé la question homérique, sont, non pas l’œuvre d’un individu, mais l’œuvre collective de cette période même qui s’est chantée dans l’Iliade. Homère est la personnification de cette inspiration poétique, comme l’esprit inventif s’est personnifié dans Hermès, l’héroïsme dans Hercule, — comme des époques entières de civilisation se sont personnifiées en ces rois de Rome imaginaires, dont les noms ont été pris par la postérité pour ceux de personnages historiques.

Avec l’âge des hommes, le langage devient positif et précis. L’écriture alphabétique est inventée, la poésie n’est plus la seule expression de la pensée, et, comme la prose, elle est elle-même rationnelle. Le gouvernement n’est plus exclusivement aristocratique, comme dans la période précédente ; il est plutôt démocratique. Les mythes s’oublient, la religion se purifie, se fait plus morale ; les temps sont mûrs pour la philosophie.

Mais ce progrès n’est pas indéfini ; il apporte avec lui les causes de