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PAULHAN.l’associationnisme et la synthèse psychique

Il y a en effet partout dans l’esprit non pas une raison parfaite, mais de la raison, c’est-à-dire qu’il y a une certaine systématisation d’éléments. M. Binet a très bien analysé le raisonnement dans la perception et a ingénieusement rapproché les diverses formes de la vie mentale[1]. Une fois que l’on reconnaît que chaque fait psychique perceptible à la conscience est le résultat d’une combinaison d’éléments, il semble bien pour les raisons générales indiquées ci-dessus que l’on doive admettre un autre principe d’associations que la contiguïté et la ressemblance. Dans la perception d’un mot, par exemple, nous avons un complexus d’images visuelles, auditives, motrices, phonétiques, et motrices graphiques. Comment ces diverses images se sont-elles associées ? Ce n’est probablement pas par la ressemblance. Dirons-nous que c’est par la contiguïté ? Mais ce serait donc par exemple parce qu’on entend un mot quand on le prononce, que l’image auditive serait associée à l’image motrice d’articulation ? Mais pourquoi l’image visuelle s’associe-t-elle à l’image motrice ? Sans doute à cause de l’habitude de lire. Il me paraît manifeste que ce serait prendre l’effet pour la cause que de raisonner ainsi. En effet, l’image visuelle ne peut s’être associée à l’image motrice par l’effet de la lecture, que si la lecture a été possible. Or ce qui rend la lecture possible, ce n’est donc pas l’association par contiguïté de l’image visuelle et de l’image motrice, puisque la lecture suppose cette association établie. Mais si on fait intervenir comme intermédiaire l’image auditive qui s’associe d’une part à l’image visuelle, d’autre part à l’image motrice, je demanderai comment l’image motrice a pu s’associer avec l’image auditive. Quand on prononce un mot devant un enfant pour qu’il le répète, et qu’il associe désormais l’image auditive et l’image motrice, on suppose évidemment que cette association est virtuellement faite ; car, sans les rapports anatomo-physiologiques de l’appareil moteur et de l’appareil auditif, sans la systématisation préétablie des différents centres psychiques, aucune association entre le son et le mot prononcé ne pourrait s’établir. Ici encore, c’est l’organisation, c’est la systématisation qui dirige l’association par contiguïté et qui même lui donne naissance. Il ne servirait à rien de prétendre que l’enfant apprend à parler en voyant parler et qu’il associe l’image visuelle d’une bouche qui s’ouvre avec le son émis, car pourquoi l’image visuelle d’une bouche qui s’ouvre le pousse-t-il à ouvrir la sienne, sinon en vertu d’une autre systématisation comme l’on en rencontre partout dans le domaine de la vie et de l’esprit ? L’enfant voit parler et il parle ; nous voyons bâiller et nous

  1. Binet, Psychologie du raisonnement.