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ANALYSES.regnaud. Origine et philosophie du langage.

que M. Regnaud réduit à deux essentielles, la loi de l’affaiblissement des sons et la loi de la réduction des formes. Une longue série de racines sanskrites, grecques et latines, successivement déduites d’une racine unique, fournissent à la thèse la plus frappante des illustrations (pp. 161-177) ; il est donc certain tout au moins que « le nombre des racines indœuropéennes qui ne sont que des variantes phonétiques les unes à l’égard des autres est beaucoup plus grand qu’on a l’habitude de le croire », et dès lors, malgré la hardiesse de la conclusion, on est tout près d’accepter avec l’auteur « la possibilité théorique qu’au point de vue de la forme TOUTES les racines peuvent se rattacher phonétiquement les unes aux autres, ou, en d’autres termes, qu’elles peuvent descendre par voie d’évolution phonétique d’un seul type primitif. » Tel est le premier degré de l’hypothèse, on le voit, toute moniste et évolutionniste, que l’analyse régressive des faits suggère à l’auteur de l’Origine du langage. Nous voudrions montrer en détail comment il explique l’adoucissement et la multiplication des formes par des lois déterminées, comment il établit par exemple le passage des racines larges aux racines étroites, comment surtout il trouve dans l’influence de l’évolution significative sur l’évolution phonétique une source nouvelle et particulièrement large pour la divergence et la dispersion des formes ; mais la place nous manque, et nous devons nous contenter de retenir ici, sans le confirmer autrement, le résultat capital de ses recherches, à savoir l’unité du type radical primitif (p. 178).

Resteraient, il est vrai, les suffixes, et cette objection, qu’ils sont, eux aussi, des racines véritables, destinés à déterminer les radicaux proprement dits, et dès lors naturellement distincts de ces derniers. Au lieu d’une unité primitive et d’un monisme, c’est un double principe qu’on aurait devant soi et un dualisme inévitable. Telle serait du moins la conséquence de la théorie courante de l’agglutination ; mais M. Regnaud la combat de toutes ses forces, si bien qu’il tente de détruire à la fois et l’objection et le principe sur lequel on l’appuie. Il lui parait, en effet, tout à fait invraisemblable que l’indo-européen primitif ait été formé exclusivement de racines séparées, à fonctions grammaticales vagues ; et c’est pourtant ce que suppose la théorie de l’agglutination qui met, d’une part, des radicaux immuables, et qui leur oppose, d’autre part, des suffixes non moins immuables de toute éternité, en leur confiant le rôle de devenir, par un rapprochement et par une soudure, les désinences déterminatives des radicaux. M. Regnaud ne manque pas d’objections linguistiques très graves (pp. 217 et 218) contre l’agglutination des suffixes, et il croit bien plus volontiers qu’ils n’ont jamais eu une existence indépendante » ; — « nous voyons plutôt en eux, dit-il, à l’origine, la partie finale de racines primitivement redoublées dans lesquelles cette partie a acquis petit à petit une valeur grammaticale. Une fois le principe de l’analogie passé à l’état d’habitude intellectuelle, on l’emprunta instinctivement à la forme où elle avait pris naissance pour l’adjoindre à d’autres formes radicales, aux-