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quelles on adjoignit par la même l’attribution grammaticale particulière dont elle était le signe. Nous entendons, par exemple, qu’étant donnée une racine redoublée ska-ska, la syllabe ska a fini par être considérée comme le support d’une nuance significative secondaire, telle que l’idée inchoative propre à la série des verbes qui ont été formés à son aide en latin surtout, ou l’idée adjective qui s’est formée avec elle dans les nombreux adjectifs en i-sch, i-sk, etc., des langues germaniques et slaves (p. 220). »

En résumé, rien ne s’opposerait donc à l’unité radicale primitive des suffixes et des radicaux proprement dits, et le monisme imaginé par l’auteur comme possible reste une hypothèse sans doute, mais une hypothèse qui a du moins triomphé déjà des objections les plus graves.

Nous voici donc ramenés, par un détour, au terme de l’analyse régressive des faits ; et c’est ce terme qu’il faut maintenant appuyer sur une hypothèse fondamentale, suggérée par la première comme la première l’a été par les faits, et propre à rendre compte tout à la fois et de ceux-ci et de celle-là : nous touchons, il est presque inutile de le faire remarquer, à la solution du problème.

Et d’abord, puisque l’analyse nous a fait remonter jusqu’à un terme primitif unique, ce terme était un son, et il avait un sens : quel était ce son ? et quel était ce sens ?

Le son, cela va sans dire, devait être d’une extrême simplicité, tel que le pouvait émettre un organe sans développement, sans exercice ni dans la race ni dans l’individu ; et la raison même qui l’obligeait à se produire suffirait à prouver qu’il en dut être ainsi. Cette raison, il ne nous semble pas qu’on en puisse douter, fut primitivement une sorte d’action réflexe ; comme le dit Steinthal, « tous les mouvements de l’âme », et nous ajouterions volontiers, toutes les perceptions, agréables ou douloureuses, des objets extérieurs, « avaient leur écho dans le corps, principalement dans les organes de la respiration et de la voix » ; et que pouvait être cet écho, sinon un bruit produit par le larynx, une voix presque inarticulée, une sorte de cri comme en pousse l’enfant en présence d’un objet qui pique sa curiosité et attire ses yeux ? M. Regnaud est de cet avis, et il croit à un cri primitif, tout au plus nuancé par les modulations les moins compliquées. Il n’attache pas une importance extrême à l’état affectif qui fait pousser le premier cri, ou, pour mieux dire, il s’en méfie : si l’homme ne criait primitivement que pour exprimer une jouissance ou une douleur aiguës, son interjection ne serait, selon lui, ni ne pourrait devenir significative, et nous sommes tenté d’être de son avis : une émotion trop profonde ou trop vive, en effet, s’oppose à la réflexion en occupant tout le champ de la conscience, comme une lumière trop éclatante à la vision en éblouissant la vue ; et dès lors point de perception nette, point d’idée, ni de signe. C’est pour cela sans aucun doute que les interjections purement émotionnelles, comme le remarque l’auteur, sont phonétiquement infécondes, parce qu’elles sont exclusivement affectives. Epicure avait donc tort, en un