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qui serait la réunion de toutes les plus hautes généralités scientifiques. Ce serait alors la pure doctrine du positivisme ; mais nous nous réservons plus tard de faire de cette doctrine un examen séparé. Disons seulement, quant à présent, que cette manière d’entendre la philosophie comme une synthèse des sciences, n’a jamais été absente de la philosophie elle-même et qu’elle représente, sinon le tout, du moins une partie de la philosophie traditionnelle.

Une troisième définition de la philosophie, sur laquelle nous nous arrêterons moins parce qu’elle est déjà plus ou moins engagée dans les définitions précédentes, est celle-ci. La philosophie n’est pas une science ; c’est un art ; c’est quelque chose d’intermédiaire entre la poésie et la religion ; c’est, dit-on, l’œuvre de l’initiative individuelle. Chacun se fait sa philosophie. Ce qui prouve cette vérité, c’est que la philosophie a été parfaite dès le premier jour. Comme on n’a pas surpassé Homère, on n’a pas surpassé Platon. C’est encore à M. Renan que nous emprunterons l’expression la plus nette de ce point de vue : « Ce n’est point à des sciences particulières que l’on peut assimiler la philosophie ; on sera mieux dans le vrai en rangeant le mot de philosophie dans la même catégorie que les mots d’art et de poésie. La plus humble comme la plus sublime intelligence a sa façon de concevoir le monde. Chaque tête pensante a été à sa guise le miroir de l’Univers. Chaque être vivant a eu son rêve ; grandiose ou mesquin, plat ou sublime, ce rêve a été sa philosophie. La philosophie, c’est l’homme même. Chacun naît avec sa philosophie, comme son style. Cela est si vrai que l’originalité, en philosophie, est la qualité la plus requise, tandis que dans les sciences positives, la vérité des résultats est la seule chose à considérer[1]. »

Si l’on veut dire que, dans toute philosophie, il y a une œuvre d’art, une œuvre d’imagination, cela est vrai. Certes, il ne faut pas une petite imagination pour inventer la théorie des idées, la théorie des hypostases, l’infinité des mondes, l’harmonie préétablie, l’idéalisme transcendantal ; or toute création est œuvre d’imagination. Mais de là conclure que la philosophie n’est qu’une œuvre d’art, une œuvre d’imagination, c’est toute autre chose. En effet, la science elle-même, en un sens, est aussi une œuvre d’art, une œuvre d’imagination ; il ne faut pas non plus une petite imagination pour qu’à propos d’une pomme qui tombe on devine le système de la gravitation universelle, pour qu’à propos d’un os ou d’une dent on reconstitue un animal entier, pour qu’à propos d’une étude spéciale sur les pigeons on entrevoie tout le système de la transfor-

  1. Renan, Dialogues, p. 287.