Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50
revue philosophique

un système de sons qui composent l’air dont il est question, et c’est cette association systématisée qui détermine le réveil des autres mots qui les accompagnent. Un air n’est pas seulement une suite de sons, il est un système. Nous avons donc ici une application de cette loi de fusion si bien mise en relief par M. Binet[1] et de la loi de systématisation, et cette interprétation a sur la première l’avantage considérable qui ressort de ce qui a été dit plus haut de s’accorder avec les données de la psychologie générale synthétique. L’application est plus simple et mieux unifiée.

En fait, le travail de l’esprit, à un point de vue général, consiste à détruire les associations naturelles par contiguïté et ressemblance, à abstraire, à briser pour ainsi dire les perceptions et à composer avec les abstraits ainsi formés des systèmes divers aussi bien harmonisés que possible. Toutes les impressions que l’homme reçoit sont reçues par un appareil qui les analyse et les synthétise ensuite non pas selon la ressemblance ou la contiguïté, mais au moins dans ses formes les plus élevées, et par conséquent les plus typiques, selon une loi de finalité, dont le résultat est la formation d’un système interne plus parfait, et d’une systématisation plus complète des rapports de l’organisme et de son milieu. Nous apprenons par exemple la table de Pythagore, et nous récitons de suite tous les produits des neuf premiers nombres, mais une telle acquisition ne servirait de rien ou serait presque vaine, si nous ne brisions absolument le lien de contiguïté qui existe entre les différents produits, et si nous n’avions à notre service, tout prêt, le produit dont nous avons besoin à un moment déterminé, c’est-à-dire celui qui peut se systématiser avec un ensemble donné de phénomènes et forme avec lui un tout unifié. De même, dans tous les objets nous percevons, nous isolons tous les caractères, toutes les lois dont ils se composent, et nous faisons de ces lois et de ces caractères des synthèses que la réalité ne nous donne pas, mais qui nous sont seules utiles. Ainsi, quelquefois, c’est le côté numérique seul que nous envisageons. Si j’entreprends une promenade, et si je calcule le nombre de kilomètres que j’ai à faire afin de bien combiner l’heure du départ, l’heure de l’arrivée, l’heure du retour, il n’est pas nécessaire, il est même nuisible que je me rappelle d’une manière concrète le terrain que je vais parcourir, je n’ai à prendre que cette qualité abstraite, la dimension ou longueur de la route qui seule peut me servir en ce moment. Je brise par conséquent un nombre infini d’associations par contiguïté et ressemblance afin de ne garder qu’une qualité isolée, qui dans cet état n’a point de

  1. Voyez Binet. La psychologie du raisonnement, p. 96 et suivantes.