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DUNAN.l’espace visuel et l’espace tactile

que les premières, et par conséquent n’en peuvent donner, directement au moins, aucune idée. Voilà bien exactement la nature des rapports qui unissent le phénomène sensible à l’absolu inconnaissable qu’il manifeste à sa manière. Si cette comparaison rend bien la pensée de M. Spencer, et nous croyons qu’elle la rend très bien en effet, nous pouvons nous y appuyer. Or cette comparaison met justement à nu la faiblesse du système de son auteur au point de vue qui nous occupe. M. Spencer n’a pas pris garde à une chose, c’est que, si les variations de position du cube se produisent suivant une loi définie, les variations de l’image devront se produire suivant une autre loi définie également, quoique beaucoup plus complexe, mais qui, étant fonction de la première, ne sera pas déterminable en soi, et indépendamment de celle-ci. La conséquence de ceci, c’est que si la loi des variations de position du cube demeure totalement inconnue, — et c’est là précisément ce que suppose M. Spencer dans sa comparaison, — la loi des variations de l’image ne peut plus être exprimée en une formule algébrique quelconque. Dès lors, là où en fait règne l’ordre, il n’y a plus pour nous qu’une confusion absolue et un chaos inextricable : l’énigme nous est à jamais indéchiffrable, puisque la loi des variations de position du cube, qui en est la clef, nous demeure inconnue. Transportez ceci aux relations de la chose en soi et du phénomène, il ressort cette conclusion que, dans le cas même où la chose en soi serait soumise à des lois, et où ces lois auraient leur expression dans le monde phénoménal, comme, par hypothèse, il nous est toujours impossible d’expliquer le monde phénoménal par ces lois, le monde phénoménal, quoique réglé en soi, devrait présenter à nos yeux l’apparence du désordre le plus absolu, ce qui n’est pas. On voit donc bien qu’il ne suffit pas, comme le croit M. Spencer, de supposer l’incognoscible régi par des lois immuables, pour expliquer comment le monde de notre expérience est lui-même régi par de telles lois ; et que, par conséquent, le caractère absolu des rapports que présentent les phénomènes de l’ordre sensible, ne peut avoir son principe que dans la représentation même du sujet, c’est-à-dire dans l’esprit.

La même chose pourrait se prouver plus simplement encore, par la raison que voici. Du moment qu’il est admis que le sujet sentant, quelle que puisse être d’ailleurs sa nature, n’est pas une pure réceptivité, et que, déformant par sa réaction propre les caractères de la chose en soi qu’il exprime à sa manière, il les constitue d’après des rapports fixes dont le principe est en lui-même, il faut bien admettre dans ce sujet sentant des conditions a priori de l’expérience sensible. Ainsi l’empirisme a beau se faire réaliste, il n’échappe pas à la néces-