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sité, soit de se renier lui-même, soit de réduire le monde à un ensemble de phénomènes sans autres rapports entre eux que des rapports de succession accidentelle dans le temps.

Voilà ce que Hume avait admirablement compris, mais ce que n’ont pas compris aussi bien que lui les autres philosophes empiristes ; car Stuart Mill lui-même, à qui pourtant n’ont manqué ni la sincérité, ni la clairvoyance, semble avoir toujours craint de plonger son regard jusque dans ce fond ultime de la doctrine qu’il professait. De là chez Hume la négation obstinée de tout rapport de dépendance des phénomènes entre eux, quelque uniformes et constantes que soient les successions de faits que l’expérience nous présente. Ces successions ne sont, d’après lui, que de purs accidents, de simples hasards, du moins au regard de l’intelligence humaine, dont l’impuissance à se les expliquer est absolue, et vraisemblablement il en est de même au regard de toute intelligence. Aussi est-ce faire preuve à la fois d’illusion et d’impertinence, à son avis, que de s’obstiner à en demander le pourquoi. Voilà la vraie logique de l’empirisme. C’est cette intellection si nette et cette profession si formelle des conséquences radicalement sceptiques qu’entraine la doctrine à l’égard du déterminisme des faits extérieurs qui fait la force, l’originalité, la saveur même de la philosophie de Hume, en même temps que sa très grande supériorité, du moins à certains égards, sur tous ses successeurs.

Il est donc bien vrai de dire, comme nous l’avons fait déjà, que la véritable question entre Kant et ses adversaires est, non pas de savoir si les organes concourent ou non à la formation de l’idée d’espace, mais si les formes d’espace que nous nous représentons ont entre elles, quelle que soit leur origine, des rapports absolus et nécessaires. Cette question, nous n’aurions pas à la rigueur à nous en occuper ici, puisque ce que nous avons à faire, ce n’est pas de démontrer l’apriorisme kantien, mais seulement de faire voir que notre théorie sur les deux formes irréductibles de l’espace n’est pas en opposition avec lui. Mais nous en avons trop dit pour pouvoir nous dispenser maintenant de tirer des discussions précédentes la conclusion entièrement conforme aux principes de l’apriorisme qui en découle d’elle-même. Si, d’une manière générale, l’empirisme exclut tout rapport objectivement universel et nécessaire entre deux choses quelconques de l’ordre expérimental, il suffirait, pour le réfuter, de prouver d’une manière générale qu’il y a dans l’ordre expérimental des choses présentant entre elles des rapports de ce genre ; mais, comme c’est le caractère apriorique de l’idée d’espace qui est ici particulièrement en jeu, c’est dans cet ordre d’idées que