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S’est-il rencontré, se rencontre-t-il aujourd’hui des peuples dépourvus de toute idée et de toute pratique religieuses, des peuples « sans religion » ? C’est une question qui a été débattue avec une certaine ardeur. M. Vinson, dans l’ouvrage dont nous venons de rendre compte, affirme l’existence de populations sans culte et sans croyance, et il en tire des conséquences, qu’il croit importantes pour l’avenir de la religion. Puisqu’on a su se passer d’elle dans tels temps, sous tels cieux, on peut nourrir l’espoir de s’en débarrasser aujourd’hui. M. de Quatrefages, qui est un anthropologiste de marque, et, nous pouvons le dire sans offenser l’auteur des Religions actuelles, qui a beaucoup plus qualité que M. Vinson pour donner son sentiment sur les questions de cet ordre, est d’un avis opposé. Il tient que le caractère de religiosité est un des traits qui distinguent l’homme de l’animal et que l’on a fait erreur en refusant à certaines peuplades arriérées et sauvages la possession de quelques rudiments au moins d’un culte qui s’adresse à des êtres surhumains. Dans l’intéressant et substantiel volume qu’il vient de donner à la Bibliothèque scientifique contemporaine, sous le titre de les Pygmées[1], il fournit des indications précises sur la religion de races, dont on a précisément contesté les aptitudes à cet égard.

Disons tout de suite que cette question des « peuples sans religion » est loin d’avoir au point de vue philosophique l’importance qu’on lui a attribuée. C’est, avant tout, une question de fait et d’information. C’est aussi une question de définition, les uns entendant religion de telle sorte que celle-ci supposerait un développement intellectuel complet, d’autres l’entendant d’une façon beaucoup plus large. Abstraction faite des dissentiments qui reposent sur l’emploi différent d’un terme assez élastique, il semble que les renseignements recueillis à ce jour ne permettent pas de trancher définitivement ce difficile problème. Connaissons-nous avec assez de précision les mœurs, les conditions, les habitudes de toutes les peuplades dites sauvages pour assurer soit qu’il s’en trouve, soit qu’il ne s’en trouve pas de positivement et foncièrement irréligieuses ? Certainement non.

Les renseignements d’après lesquels nous sommes appelés à nous prononcer à cet égard, sont fort souvent vagues et entachés de motifs graves de suspicion. Nous les devons principalement à trois catégories d’informateurs, aux négociants, aux missionnaires, aux explorateurs. Les négociants s’entendent peu aux choses de la religion ; ils signalent des traits, des habitudes ou des cérémonies qui les ont frappés : leur témoignage est des plus insuffisants. Les missionnaires apportent à l’étude de la question une double et contradictoire tendance : d’une part, retrouver partout les traces d’un prétendu monothéisme, d’une

  1. In-16, vii et 350 pages, avec 31 figures.