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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

prétendue révélation primitive avec souvenir altéré de la chute de l’homme, du déluge, etc., de l’autre, opposer le mérite de la doctrine qu’ils apportent aux ténèbres, à l’ignorance, à l’abrutissement de populations dépourvues de toute notion morale et religieuse. Il en résulte qu’ils disent tantôt blanc et tantôt noir pour les mêmes peuplades. Il importe, en dépouillant les informations, souvent très précieuses, qu’on leur doit, de se tenir en garde contre le préjugé dont se ressentent leurs conclusions. Les explorateurs de profession, enfin, sont le plus souvent des naturalistes, assez peu curieux des matières religieuses. On a fait, d’autre part, la remarque très juste, qu’il est fort délicat de pénétrer dans le for du sentiment religieux : le sauvage, comme le civilisé, ne livre pas volontiers au premier venu le secret de ses relations avec les puissances surhumaines.

Supposons cependant que la question des « peuples sans religion » soit définitivement tranchée dans le sens de la négative ou dans celui de l’affirmative : quelles conséquences la philosophie religieuse devrait-elle en tirer ? De ce qu’un petit nombre de peuplades, placées à un degré infime de civilisation, se passent de toute pratique religieuse, en faudrait-il conclure que des nations arrivées au sommet du développement social sont sur le point de renoncer à toute espèce de culte ? Nous ne voyons pas grand rapport entre les prémisses et la conclusion. — De ce que les populations même les plus arriérées ne peuvent se passer de pratiques religieuses, tirerons-nous la conséquence que l’humanité, parvenue au dernier terme et plus élevé de l’évolution sociale, continuera d’adorer des puissances qu’elle place au-dessus d’elle ? Pas davantage ; car ici encore les prémisses et la conclusion ne sont unies entre elles que par un lien fort lâche. La grande affaire, c’est que toutes les fois que nous nous trouvons en présence d’un groupe humain parvenu à un certain degré d’organisation sociale, nous rencontrons des institutions religieuses, fort variables d’ailleurs dans leurs formes, et que, quels qu’aient été les efforts tentés soit par les anciens, soit par les modernes, pour constituer des groupes vivant en dehors de toute idée religieuse, on n’est jamais arrivé à organiser des sociétés sans religion. Des pays comme l’Amérique du Nord, où les progrès industriels marquent mieux le passage du monde ancien au moderne, ne se montrent nullement disposés à sacrifier l’idée religieuse. Dans l’ancien monde, il se rencontre pas mal d’individus qui se tiennent en dehors de toute pratique et croyance religieuses, mais presque point de familles et jamais des groupes. La religion reste donc, pour toute la période de l’histoire dont des documents dignes de foi nous permettent d’aborder l’étude, un élément essentiel de toute organisation sociale, tant soit peu développée. En écrivant ces mots, nous ne faisons qu’enregistrer un fait, qui est incontestable pour la fin du xixe siècle.

On a prétendu que des peuplades fort arriérées et fort isolées, telles que les Mincopies ou habitants des iles Andaman, étaient dépourvues de toute idée religieuse. Sur la foi d’un récent explorateur, M. de Quatre-