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fages conteste cette assertion et il nous soumet à cet égard une série d’indications fort intéressantes. Donc, les naturels de ces iles perdues croient à un Être suprême. Le résumé de leurs croyances serait le suivant : L’Être suprême, quoique ressemblant à du feu, est invisible. Il n’est jamais né et il est immortel. Par lui ont été créés le monde, tous les objets animés et inanimés, excepté les puissances du mal. Pendant le jour (sic), il est omniscient et connaît jusqu’aux pensées des cœurs. Il s’irrite quand on commet certains péchés, il est plein de pitié pour les malheureux et les misérables, et quelquefois il daigne les secourir. C’est lui qui juge les âmes après la mort et prononce, pour chacune d’elles, la sentence qui les envoie en paradis ou dans une sorte de purgatoire. L’espoir d’échapper aux tourments qu’on endure dans ce dernier lieu influe, dit-on, sur la conduite des insulaires. — Voilà qui est beau, très beau, je dirai presque trop beau ; je soupçonne fort l’informateur d’avoir mis quelque peu du sien dans ce savant tableau. M. de Quatrefages lui-même croit devoir faire quelques réserves. « C’est là, dit-il, une conception élevée et profondément spiritualiste ; mais l’esprit enfantin et grossier du sauvage reparaît bien vite dans les idées que les Mincopies se font du mode d’existence de leur dieu. » En effet, ce dieu, qui répond au nom de Puluga, « habite dans le ciel une grande maison de pierre ; il mange et il boit ; quand il pleut, il descend sur la terre pour faire ses provisions de vivres ; il passe la plus grande partie de son temps à dormir pendant la saison sèche. » D’ailleurs l’excellent Puluga est marié. « Il vit avec une femme de couleur verte, qu’il a créée à son usage et qui a deux noms, dont l’un signifie la Mère-Anguille. » Il a un fils et pas mal de filles. À côté de Puluga, se trouvent, d’autre part, de nombreux esprits du mal.

À la bonne heure. Ce Puluga, élevé à l’école de Cousin et du méthodisme anglais, m’inspirait des doutes. Depuis que je l’ai vu dans son ménage avec sa femme et ses filles, il me parait beaucoup plus acceptable. Voilà cependant qu’on nous affirme que Puluga, cet Être suprême, invisible, immortel, créateur de toutes choses, n’est l’objet d’aucun culte ! Et M. de Quatrefages de s’adresser à un autre explorateur, qui le rassure à cet égard. Tout cela, il faut l’avouer, n’est pas absolument décisif. Il semble bien toutefois qu’on se trouve en présence d’un de ces cultes embryonnaires, dont on donne la plus fausse idée quand on entreprend de faire rentrer leurs éléments dans un cadre rigoureux. La psychologie des Andamans parait bien se rapporter aux idées qui ont généralement cours chez les sauvages. L’homme possède deux principes actifs, l’esprit et l’âme. Tous deux invisibles aux yeux, ils reproduisent les formes du corps. Quand un homme est très malade, c’est que son esprit hésite entre cette terre et l’autre monde ; quand on rêve, c’est que l’âme a quitté le corps momentanément pour parcourir des régions plus ou moins éloignées.

M. de Quatrefages, quoiqu’il penche à accuser l’élément religieux, fait lui-même des remarques très sages sur l’inconvénient de conclu-