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contemporains de Descartes, à cause de l’incompatibilité avec le dogme eucharistique. Cette question d’ailleurs n’a pas moins agité la Belgique que la France, même avant la divulgation des lettres au P. Mesland.

Nous connaissons un certain nombre de cartésiens et d’anticartésiens en Belgique, mais l’abbé Monchamp me fait faire connaissance avec plusieurs que nous ignorions malgré l’importance de leurs ouvrages et de leur rôle. Cependant nous croyons qu’il exagère quand, par une sorte d’amour-propre national qui perce d’ailleurs dans tout son livre, il vante la Belgique d’avoir produit, à elle seule, autant de cartésiens et d’anticartésiens que la France et la Hollande réunies.

Il y eut des partisans et des adversaires de Descartes dans d’autres parties de la Belgique, et particulièrement à Liège, mais l’université de Louvain fut le principal centre des luttes provoquées par la philosophie nouvelle, d’abord du vivant même de Descartes, et presque autour de sa personne, puis après sa mort, pendant tout le xviie et même le xviiie siècle. Dans le tableau de ce mouvement philosophique l’auteur n’a peut-être pas toujours mis autant d’ordre et de méthode qu’il serait à désirer ; il a quelquefois séparé, trop fidèle à l’ordre chronologique, ce qu’il eût été mieux de réunir pour l’enchaînement des idées et la suite des faits. Passons vite sur cette critique pour le louer du soin, de la clarté, de l’équité qu’il met partout à analyser les discussions les plus importantes, les attaques et les répliques des uns et des autres. Il abonde en détails neufs et intéressants sur plus d’un fait et plus d’un personnage, par exemple sur Gutschoven, ce cartésien de la première heure, comme il a été justement appelé. Gutschoven a été pendant trois ans l’élève, le secrétaire, le préparateur et presque le domestique de Descartes, qui lui apprit les mathématiques et l’anatomie. Devenu un maître à son tour, il occupa avec distinction une chaire de philosophie et de médecine à l’université de Louvain. Ce fut un collaborateur de Clerselier pour la publication des lettres de Descartes et du Traité de l’homme, et un des principaux chefs du mouvement cartésien en Belgique, comme Clerselier en France. À côté de lui il place Philippi, qui nous était tout à fait inconnu malgré son dévouement à Descartes, malgré l’importance de ses écrits et de son rôle. Philippi, comme Gutschoven, est un professeur de médecine et de philosophie à l’université de Louvain, où il eut Geulincx parmi ses élèves. Après quarante années d’enseignement il publia, en 1661, ses leçons en trois parties ou medullæ. comme il les appelle, la logique, la métaphysique et la physique. Le fond est cartésien, quoique par prudence il évite le nom de Descartes et quoique la forme soit encore scolastique. Mais son enseignement, plus cartésien que ses livres, et la part qu’il prit dans toutes les luttes en faveur de Descartes devaient lui attirer la même disgrâce qu’à Gutschoven.

L’abbé Monchamp met en scène les adversaires en même temps que les disciples de Descartes. L’étude qu’il leur consacre, l’analyse de leurs objections, l’appréciation impartiale qu’il en fait n’est peut-être pas la