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naturellement en rapport avec l’intensité de la pile. Ce champ électrique est traversé par des lignes de force. Placés en dehors de l’organisme, mais à son voisinage, un métal, un aimant, une autre substance peuvent agir sur ces lignes de force et par cela même produire une perturbation des courants, soit intérieurs à la pile musculaire, d’où naîtraient des contractions ; soit extérieurs à la pile, c’est-à-dire dans les nerfs d’où apparaîtraient des phénomènes nerveux variés. » Je ne discuterai pas cette interprétation ; avant d’essayer d’expliquer les phénomènes que MM. Bourru et Burot ont étudiés, il faudrait être assuré de leur réalité. La parfaite bonne foi des expérimentateurs ne saurait être mise en question, mais il ne me semble pas qu’ils aient réussi à prouver que l’on a bien affaire à une action des substances médicamenteuses elles-mêmes, et qu’il ne faut décidément pas songer à expliquer les faits dont ils ont été témoins par une action de l’observateur sur le sujet ou du sujet sur lui-même. On a le devoir d’être difficile en matière de preuve lorsqu’il s’agit de faits aussi inattendus. Les expériences de MM. Bourru et Burot semblent avoir été bien faites, mais les chances d’erreur sont ici si nombreuses que la seule preuve qui puisse être acceptée c’est la concordance entre les résultats d’un très grand nombre d’expériences faites par différents expérimentateurs sur différents sujets. Souvent l’action produite par la substance que l’on expérimente est une action banale, excitation ou sommeil, qui ne prouve rien : c’est ainsi que l’on a réussi à faire dormir V… avec des feuilles de jaborandi. Parfois, au contraire, cette action est fort étrange et ne ressemble en rien à celle que produirait la substance, si elle était ingérée : c’est ainsi que l’essence de thym produit l’exorbitis ; l’essence de laurier-cerise, l’extase religieuse ; qu’à chaque essence est attachée une espèce particulière d’hallucination ( avec l’essence de lavande, c’est un bateau qui va au fond de l’eau ; l’essence d’anis donne l’hallucination de saltimbanques que le sujet cherche à imiter, » etc.[1]) ; c’est ainsi enfin que la valériane excite fortement le sujet et semble lui faire croire qu’il est transformé en chat. Il faut enfin remarquer que lorsque les substances médicamenteuses ont été enfermées dans des tubes scellés à la lampe dont les expérimentateurs ignoraient le contenu, elles sont presque toujours restées sans action. Il ne saurait me venir à l’esprit l’idée de mettre en doute les faits dont MM. Bourru et Burot ont été témoins, mais il me semble que l’heure n’est pas encore venue de leur donner droit de cité dans la science : nous ne pouvons que remercier ceux qui ont ouvert cette voie nouvelle, nous tenir sur la réserve et attendre pour nous prononcer de plus nombreuses expériences. Les faits semblent acquis, mais l’interprétation en reste douteuse : il faut que les faits se multiplient et que les expériences soient conduites avec une extrême rigueur pour que l’on soit contraint de renoncer à l’hypothèse de la suggestion, qui reste jusqu’à présent plausible.

L. Marillier.

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