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ADAM.pascal et descartes

ne tombe pas : c’est que, dit Descartes, pour descendre seulement, il lui faudrait pousser une partie de l’air, qui en pousserait une autre au-dessus d’elle ; « il lui faudrait autant de force qu’il en est besoin pour enlever tout l’air qui est depuis là jusqu’au-dessus des nues »[1].

Certes Pascal ne dira pas mieux plus tard. Mais à supposer, ce qui n’est pas probable, qu’il ait connu cette lettre, elle renferme aussi certains passages qui eussent mis en défiance son esprit scientifique : l’explication de Descartes est présentée comme la conséquence d’une théorie métaphysique sur le plein. On demandait à Descartes pourquoi, si l’air est pesant, ne le sentons-nous pas ? Parce-que, répondait-il, chaque partie que nous en soulevons, prend aussitôt la place d’une autre au-dessus d’elle, celle-ci d’une troisième, et ainsi de suite, par une sorte de mouvement en cercle, jusqu’à ce que la dernière ait pris la place quittée par la première, sans qu’il y ait eu aucun vide dans l’intervalle. Ainsi la pesanteur de l’air ne se sent point, « non plus que ferait celle d’une roue, si on la faisait tourner, et qu’elle fût parfaitement en balance sur son essieu ». De même, si le vif-argent ne tombe pas du tuyau, c’est qu’en descendant il laisserait dans le haut un vide, où l’air ne pourrait entrer, puisque cette extrémité est fermée : le mouvement en cercle du vif-argent et de l’air est donc impossible, et c’est pourquoi tout demeure immobile[2].

Dans son Monde, écrit vers le même temps (1632-33), Descartes propose la même explication. Soit un tonneau plein de vin ; a beau faire une ouverture au bas, le vin ne coule point, lorsque le dessus reste fermé. « C’est, dit Descartes, à cause que dehors tout est aussi plein qu’il peut être, et que la partie de l’air dont le vin occuperait la place, s’il descendait, n’en peut trouver d’autre où se mettre en tout le reste de l’univers, si l’on ne faisait une ouverture au-dessus du tonneau, par laquelle cet air peut remonter circulairement en sa place »[3].

  1. Œuvres de Descartes, t.  VI, p. 206 de l’édit. Cousin, 1824.
  2. Ib., t.  VI, p. 205.
  3. Le Monde, c. IV, p. 419-420 de l’Homme de M. Descartes, édit. de 1677. — De même dans une lettre du 16 oct. 1639, t.  VIII, p. 160-161 de l’édit. Cousin. Dans une lettre du 20 oct. 1642, publiée récemment, Descartes disait encore : « On a divers moyens pour empêcher les cheminées de fumer, selon les diverses causes de la fumée, et la cause la plus commune est que souvent il ne vient pas assez d’air de dehors en la chambre pour y remplir la place de la fumée qui en doit sortir. Car il faut remarquer que la force du feu chasse une grande quantité d’air, avec les petites parties du bois, lesquelles, mêlées avec cet air, composent la fumée…., et que, n’y ayant point de vide en l’univers, il est nécessaire qu’il rentre toujours autant de nouvel air dans la chambre comme il en sort de fumée. » (Lettre inédite de Descartes, publiée par M. P. Tannery, dans la Revue philosophique de sept. 1886.)