Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
revue philosophique

Ainsi, même lorsque Descartes parle en savant, il reste métaphysicien, et ses théories se mêlent aux faits positifs et à leurs causes, au moment même où il semble le mieux les apercevoir. Voilà peut-être pourquoi, entre l’autorité de Descartes et celle de Torricelli, en faveur de la même opinion, Pascal n’hésitait pas : il préférait celle de Torricelli. L’opinion de celui-ci sur la cause du phénomène se présentait seule, en toute simplicité et naïveté ; mais celle de Descartes se confondait avec une hypothèse dont il la faisait dépendre, et qui ne pouvait que la compromettre aux yeux d’un savant véritable. Ainsi s’expliquent les paroles de Jacqueline, dictées sans doute par Pascal lui-même : « M. Descartes croit fort à la colonne d’air, mais par une raison que mon frère n’approuve pas. »

VI. Vérification de cette cause.

On va voir encore mieux maintenant l’excellence de la méthode à laquelle Pascal avait été habitué dès l’enfance par son père. Il connaissait déjà l’opinion de Torricelli, mais n’osa pas, faute d’expériences convaincantes, la proposer dans son abrégé d’octobre 1647. Comme il écrivait un peu après au P. Noël, tant qu’une chose n’est pas prouvée, « nous ne l’appelons que vision, caprice, fantaisie, quelquefois idée, et tout au plus belle pensée. Et parce que nous ne pouvons l’affirmer sans témérité, nous penchons plutôt vers la négative[1] ». Qu’arrive-t-il, en effet, si on l’affirme précipitamment ? On n’est pas sûr de soi, on ne s’y tient pas ferme comme à une vérité bien établie, et quelquefois pressé par un adversaire, on lâche prise, sauf à la reprendre ensuite, mais sans plus de raison qu’on n’en avait d’abord.

Descartes n’a pas échappé à ce danger. Lui que nous avons vu tout à l’heure si affirmatif et si explicite dans sa lettre du 2 juin 1631, nous le retrouvons plus tard indécis et peu net. Le 8 octobre 1638, après avoir parcouru les dialogues de Galilée, il écrivit au P. Mersenne que « cette observation que les pompes ne tirent point l’eau à plus de dix-huit brasses de hauteur, ne se doit point rapporter au vide ; mais, dit-il, ou à la matière des pompes ou à celle de l’eau même qui s’écoule entre le piston et le tuyau, plutôt que de s’élever plus haut, ou même à la pesanteur de l’eau qui contrebalance celle de l’air » [2]. La véritable explication n’est indiquée qu’après deux autres,

  1. Œuvres complètes de Pascal, petite édit. in-18, Hachette, t.  III, p. 13.
  2. Œuvres de Descartes, édit. Cousin, t.  VII, p. 436-437.