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ADAM.pascal et descartes

la famille Pascal par un ami commun, qui ne pensait pas sans doute qu’il y eût entre le savant et le philosophe le moindre sujet de querelle. Il est donc probable que Pascal ignora d’abord les réclamations de Descartes ; s’il en fut averti, ce ne fut que longtemps après la mort de celui-ci, lorsque sa propre réputation était solidement établie, et son droit de priorité reconnu de tous[1].

Que, dans les deux entretiens de septembre 1647, Descartes l’ait engagé vivement à faire cette expérience du Puy-de-Dôme, on n’a pas de peine à le croire. Mais qu’il lui en ait aussi donné la première idée, c’est ce qui reste douteux. Pascal, écrivant à M. Périer, déclare que, lors de la production de son abrégé, il avait déjà cette pensée, que les effets attribués à l’horreur du vide sont dus à la pesanteur et pression de l’air, et qu’il cherchait des expériences qui le fissent bien voir. La visite de Descartes survint là-dessus. On parla sans doute de ces expériences à faire. Pascal, élevé près des montagnes de l’Auvergne, se rappela le Puy-de-Dôme, comme l’une des plus hautes et la plus commode pour cela, à cause du voisinage de Clermont. Descartes ne connaissait pas ce pays ; mais il avait aussi voyagé dans les montagnes, en Suisse et en Savoie ; il approuva fort l’idée de Pascal, et l’encouragea à la mettre à exécution.

Mais ici encore on retrouve le philosophe préoccupé d’un système, et qui croit que tout le monde l’est comme lui. Il faisait dépendre immédiatement cette expérience de ses propres principes, dont on n’avait que faire cependant, et d’après lesquels tout serait plein dans la nature. Or, comme Roberval, avec qui il disputa dans cet entretien, tenait pour le vide, et que Pascal, son ami, paraissait du même sentiment, Descartes garda surtout le souvenir de cette dispute, et s’imagina bien à tort que si lui-même, partisan du plein, approuvait

    Pascal à Clermont en ce temps-là (de mai 1649 à novembre 1650) est attesté par Mme Périer dans sa « Vie de Jacqueline Pascal » (p. 66 et 71 des Lettres, opuscules et mémoires des sœurs de Pascal et de sa nièce, édit. Faugère, 1845).

  1. Chapelain écrivait au même Huggens (Huyghens), cité plus haut, de Paris, le 18 août 1659 : « Le jeune Paschal était véritablement né pour de grandes découvertes. C’est lui qui le premier en France a fait l’expérience du vide avec le mercure. C’est lui qui a imaginé le premier sur ce problème le poids de l’air et sa colonne depuis l’atmosphère jusqu’en terre. Il a encore formé d’autres pensées sublimes sur de semblables matières qu’une retraite de dévotion lui a fait supprimer jusqu’ici. » (Lettres manuscrites de Chapelain, Bibliothèque nationale. fo 47 ; cf. une autre lettre du 15 oct. 1659, fo 60.) Et Huyghens, qui avait connu Descartes, ne protestait pas. Le premier peut-être qui releva à ce sujet les réclamations du philosophe contre Pascal, fut un jésuite, le P. Daniel, heureux de faire soupçonner d’un larcin scientifique l’auteur des Provinciales, comme avait déjà fait en 1651 un autre jésuite à Montferrand, opposant à Pascal Torricelli. (Lire p. 188, etc., dans le Voyage du Monde de Descartes, par le P. Daniel, Paris, 1691.)