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une telle expérience, les partisans du vide ne pouvaient que la rejeter : puisqu’elle était, pensait-il, conforme à ses principes, sûrement elle devait être contraire aux leurs. Ainsi les mêmes raisons qui firent méconnaître à Pascal la valeur des conjectures de Descartes, mêlées comme elles étaient à des conceptions métaphysiques, ont peut-être été cause que Descartes de son côté n’apprécia pas le caractère purement scientifique des idées de Pascal, le croyant entêté d’un principe qu’il jugeait faux. La vérité est que Pascal séparait nettement deux questions que Descartes s’obstinait à réunir et à confondre au lieu de regarder surtout le vide qui paraît au-dessus du vif-argent à l’intérieur du tube, il abandonne aux philosophes la question de savoir si c’est un vide apparent ou réel, et considère seulement quelle pourrait être en dehors du tube la cause de cette suspension du vif-argent. Son regard sûr a bientôt démêlé ce qui est susceptible de vérification au moyen d’expériences, c’est-à-dire la part des savants, et ce qui ne l’est pas et ne le sera jamais, ce qu’on pourra discuter vainement à l’infini, c’est-à-dire la part des philosophes, laquelle est en définitive indifférente à la science.

Quant à savoir si Descartes était capable d’imaginer une expérience comme celle du Puy-de-Dôme, c’est une tout autre question. Constatons cependant que, averti dès 1638 de ce qui était arrivé aux fontainiers de Florence, avec leur pompe trop haute, il n’eut pas, comme Torricelli, l’idée de remplacer l’eau par du vif-argent dans un tuyau plus petit, et de comparer la hauteur des deux liquides. Il n’apprit même cette expérience que lorsqu’elle eût été faite en France par Petit et Pascal, et que lui-même vint à Paris, l’été de 1647. Elle lui parut si curieuse, qu’il se plaignit au P. Mersenne qu’il l’eût gardée près de quatre ans, sans la lui communiquer, « quoique, ajoutait-il, il s’en fût avisé avant Torricelli[1] ». Et, de retour en

  1. Baillet, Vie de M. Descartes, 1691, t.  II, p. 333. En déclarant qu’il s’était avisé de l’expérience de Torricelli avant Torricelli (comme de celle de Pascal avant Pascal lui-même), Descartes ne se faisait-il pas illusion ? Que n’exécutait-il donc cette expérience ? Il n’avait pas besoin, comme pour la seconde, d’une haute montagne, dont on manque en Hollande. Et pourquoi cet étonnement, lorsqu’il la vit à Paris la première fois en 1647 ? Et cet empressement curieux à la refaire lui-même ensuite en Hollande ? C’était bien pour lui une nouveauté. — Reste un point obscur dans tout ce débat. Descartes fit un troisième voyage en France, de mai 1648 à la fin d’août. Il demeura à Paris. On le fit se réconcilier avec Gassendi. Pascal aussi était alors à Paris, et avec lui M. Périer, comme on le voit par une lettre de Jacqueline du 19 juin 1648. Mais nous ne savons si lui et Descartes se virent de nouveau. Le seul indice à ce sujet est cette phrase de Baillet : « Loin d’accorder à M. Descartes la réfutation qu’il lui avait fait espérer de sa matière subtile, M. Pascal ne voulut plus songer qu’aux moyens de mériter son amitié, comme avaient déjà fait M. son père nouvellement revenu de l’intendance de Rouen, et M. Périer, son beau-frère, par la médiation de l’ambassadeur de Suède, leur ami commun » (t.  II, p. 380). L’intendance de Normandie