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Tel était le titre nouveau que devait prendre le grand Traité du Vide annoncé un peu auparavant, et il indique que la question du vide avait été remplacée dans l’esprit de Pascal par celle de savoir la cause qui maintient suspendu dans certains tuyaux le vif-argent et n’importe quel liquide, en dépit de leur pesanteur[1].

Nous étudierons surtout, dans ces deux petits traités, la tactique que suit Pascal contre ses adversaires, anciens et modernes, et l’art avec lequel il dispose ses arguments pour détruire d’abord certains préjugés de la foule et des philosophes, afin d’établir peu à peu à la place la vérité scientifique. On avait peine à admettre que l’air fût pesant ; et, pour comble de malheur, ce fait devenait inutile à ceux-là même qui l’admettaient, car ils ne pouvaient croire que la pesanteur de l’air se fit sentir d’une partie à l’autre dans la masse du fluide : cela eût été contraire au principe péripatéticien, que les éléments ne pèsent pas dans eux-mêmes. Ainsi, disait-on, le poids de l’eau ne se sent pas, quand on est plongé au fond ; un seau plein d’eau n’est point lourd à tirer, tant qu’il est lui-même dans l’eau, et on ne commence à sentir qu’il pèse que lorsqu’il arrive hors de l’eau. Le moyen cependant, répondait Pascal, de croire qu’une partie de l’eau pèse quand elle n’est pas dans la masse, et ne pèse plus quand on l’y reverse ? qu’elle perde son poids en se confondant avec celle-ci, et qu’elle le retrouve quand elle en quitte le niveau ? Pascal pensait donc que l’eau pèse dans l’eau, et il voulait le prouver d’abord, avant de montrer que non seulement l’air aussi est pesant, comme toute autre liqueur, mais qu’il pèse dans lui-même, et que, tandis que nous ne croyons porter que le poids de notre corps, nous portons en outre celui de toute l’atmosphère, bien que nous n’y sentions rien. Avant de reconnaître cette vérité, disait-il, il était impossible de croire que la pesanteur de l’air fût la cause de certains effets, attribués à l’horreur du vide[2].

Quoique Pascal eût à combattre là-dessus les péripatéticiens de son temps, on ne doit pas faire remonter à Aristote lui-même la responsabilité de cette erreur tant de fois séculaire. Aristote avait dit, au contraire, que l’air pèse dans la place qu’il occupe naturellement ; et la preuve qu’il en donnait, est qu’une outre pleine d’air pèse plus que lorsqu’elle est dégonflée[3]. D’autre part, un siècle environ après

  1. Ces différentes dates ont été discutées et établies dans mon édition des Opuscules philosophiques de Pascal, p. 3-7 (Hachette, 1887).
  2. Conclusion des deux précédents Traites, t.  III (p. 126 des Œuvres de Pascal, in-18, Hachette).
  3. De Cælo, IV, 6, 313 à 16. — Ce texte avait été remarqué au xviie siècle, et on l’objectait aux Péripatéticiens qui se réclamaient d’Aristote. « Aristote, dit Bernier, enseigne que tous les éléments, hormis le feu, pèsent dans leur propre