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ADAM.pascal et descartes

lui, Archimède avait déterminé les conditions d’équilibre d’un corps plongé dans l’eau ou qui flotte à la surface, mais il l’avait fait en géomètre, et sans connaître encore la pression transmise dans tous les sens à l’intérieur d’un liquide ni la poussée qui en résulte de bas en haut. Toutefois ces connaissances se perdirent aux premiers siècles de notre ère. Ptolémée affirmait, vers la fin du second siècle, que l’air ne pèse pas dans l’air, parce qu’une outre gonflée est non pas plus pesante, mais plus légère que dégonflée ; l’eau non plus ne pèse pas dans l’eau, parce que, disait-il, les plongeurs, même à de grandes profondeurs, ne sentent pas le poids qui est au-dessus d’eux. Puis les commentateurs d’Aristote, Thémistius, vers 350, et Simplicius, vers 529, niaient, le premier, que l’air fût pesant dans l’air, parce qu’alors l’air ne resterait pas dans son lieu naturel, mais tendrait à en sortir ; l’autre, que le poids d’une outre fût plus grand après qu’avant d’être gonflée, et il formulait ce principe que « les éléments ne pèsent pas dans leur lieu propre ». Un faux Aristote allait ainsi s’imposer à tout le moyen âge, et avec lui un faux Archimède. On attribua à ce dernier un traité de Ponderibus, composé peut-être au xviiie siècle, et où, entre autres choses, se trouvait le postulat, qu’aucun corps ne pèse en lui-même : ainsi l’eau ne pèse pas dans l’eau ; l’huile, dans l’huile ; l’air, dans l’air. Les docteurs scolastiques, selon leur habitude, firent de cette question de fait une question de mot : ils discutaient pour et contre, pro et contra, la question de savoir si un élément est pesant ou léger dans le lieu qui lui est propre, et conciliaient le oui et le non en distinguant une pesanteur virtuelle et une pesanteur effective. En quelque lieu que soit un élément pesant, il a donc une pesanteur virtuelle, et cela même dans le lieu qui lui est propre ; mais elle n’est cause d’aucun mouvement, et ne se fait sentir ou ne devient effective que si l’élément se trouve hors de son lieu propre, lorsque le seau d’eau, par exemple, arrive dans l’air. Cette distinction des deux pesanteurs, exposée avec complaisance sinon inventée par Albert le Grand lui-même (1193-1280), fit fortune dans les écoles, et on la retrouve jusqu’au milieu du xvie siècle dans les ouvrages de l’Italien Niphus (1473-1546)[1].

Rarement un faux principe cède devant des raisons : ce qui le renverse, après une résistance plus ou moins longue, c’est l’expérience.

    lieu ; et, pour prouver cela à l’égard de l’air particulièrement, il apporte l’exemple d’un ballon qui pèse plus étant enflé que lorsqu’il est vide. » (T. II, p. 192 de l’Abrégé de la philosophie de Gassendi, 2e édit., Lyon, 1684.)

  1. Tous ces détails historiques sont empruntés à un excellent travail de Ch. Thurot Sur le principe d’Archimède, dans la Revue archéologique de décembre 1868, janvier et février 1869.