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Aussi le plus grand coup fut porté à ce principe, que les éléments ne pèsent pas dans eux-mêmes, par Simon Stevin de Bruges (1518-1620), lorsqu’il montra que dans l’eau la pression exercée par les couches supérieures sur les inférieures se transmet de haut en bas, de bas en haut et latéralement, et sut trouver la mesure exacte de cette pression. Non seulement donc il reconnaissait que l’eau pèse dans l’eau, mais il savait de quelle manière, et venait enfin de découvrir le fait fondamental qui explique mieux que des raisons l’équilibre des fluides. Et comme à une chose nouvelle un mot nouveau devenait nécessaire, Stevin inventa celui d’hydrostatique en 1586[1].

Stevin plongeait perpendiculairement dans l’eau un tube ouvert aux deux bouts, mais dont l’ouverture inférieure se trouvait bouchée par une plaque de plomb ; celle-ci d’ailleurs ne tenait pas autrement au tube. Or non seulement la plaque ne tombait pas au fond de l’eau, comme il arrive d’ordinaire à du plomb, mais elle restait appliquée contre l’ouverture, avec toute la force d’une colonne d’eau qui aurait pour base cette ouverture même et pour hauteur la distance jusqu’à la surface de l’eau. Voilà pour la pression de bas en haut. Stevin prouve que la pression existe aussi sur les parois verticales ou inclinées d’un vase plein d’eau, et la démontre et la mesure. Il rappelle, à ce sujet, « quel effort l’eau fait contre les portes des écluses ; l’eau, dit-il, d’un côté n’ayant qu’un brin de largeur pressera autant à l’encontre que le grand Océan de l’autre côté, moyennant que les eaux soient de même hauteur ». Enfin il donne la raison « pourquoi un homme nageant au fond de l’eau ne meurt pour la quantité d’eau qui est au-dessus de lui ». C’est que l’eau presse son corps « de tout côté également », et se lait ainsi équilibre à elle-même ; seule la partie de dessous est un peu plus pressée que celle de dessus, mais « ce n’est d’aucune estime[2] ».

De telles paroles, avec preuves à l’appui, devaient, semble-t-il, aussitôt connues, convertir tout le monde aux opinions de Stevin, ou plutôt à la vérité. Il n’en fut rien cependant, et les plus grands esprits la méconnurent. Galilée n’apprit qu’en 1614 les expériences de Stevin : son disciple Bardi les interpréta d’une autre façon, et lui-même, dans un écrit de 1615 sur le même sujet, n’admit pas la pression de bas en haut, ni celle qui est transmise également, en tous sens, à l’intérieur d’un liquide ; il dit que l’eau n’est ni pesante

  1. Ib., avril 1869. Stevin, qui écrivait en hollandais, intitula son livre : De Beghinselen des Waterwichts (1586, Leyde). En 1605-1608, Snell le traduisit en latin et rendit le mot Waterwicht par hydrostatice, qu’il explique en marge par aquam ponderare. (Note de Ch. Thurot.)
  2. Ib., avril 1869, p. 293-294.