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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/461

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e. de roberty. — de la théorie de la connaissance

rement plus répandue que l’idée métaphysique comparativement simple. La première constitue la propriété de l’humanité en masse, elle domine l’homme inculte et ignorant. La seconde n’apparaît guère que chez l’homme instruit et le penseur de profession où elle semble même surgir à la suite d’une étude approfondie de la nature extérieure et de l’intelligence humaine.

Plus nous comparons, en effet, nos idées des choses avec les choses elles-mêmes, plus nous méditons sur leurs ressemblances et leurs différences essentielles, plus nous désirons ardemment saisir et fixer leur identité présumée, et plus nous nous sentons envahis par un sentiment et une notion vague d’une différence irréductible, d’un résidu qui gît tout entier dans les objets et non dans les idées qui les représentent. Peut-être se passe-t-il ici un phénomène analogue à ceux des actes organiques dits inconscients qui se révèlent à une attention longtemps exercée. De même, l’idée d’une dissemblance profonde entre l’objet de la pensée et la pensée ne s’éveille qu’à la suite d’une méditation introspective accessible à un fort petit nombre d’esprits.

Cette notion n’est pas, en elle-même, mensongère, comme cette dissemblance n’est pas, en elle-même, illusoire. Un pareil caractère leur vient de la fatigue mentale inséparable de toute méditation de ce genre et due principalement à l’imperfection des méthodes psychologiques, à l’abus de l’introspection. Peu à peu, cette fatigue se transforme, à nos yeux, en une impuissance organique. Dès lors nous ne faisons que traduire ce sentiment de faiblesse en disant que sa cause occasionnelle, l’idée de dissemblance, ne pourra jamais disparaître.

Après bien des efforts pénibles, le philosophe parvient à découvrir au fond de sa conscience ce que l’homme vulgaire admet instinctivement et de prime abord : l’existence d’une différence entre l’idée et le fait, la pensée et l’objet pensé. Pour tous deux cependant le rêve et l’illusion ne commencent qu’avec le concept de l’irréductibilité finale de cette dissemblance dont l’hypothèse s’empare de leur esprit et le domine. Tous deux la prennent dès lors pour une vérité intuitive ou axiomatique absolument incontestable. Le penseur primitif, le théologien, l’homme religieux, l’ignorant s’inclinent devant ce résidu irréductible de leur expérience mentale inconsciente. Ils l’appellent Dieu. Le métaphysicien et le savant s’inclinent également devant ce résidu de leur expérience mentale consciente : le substratum mystérieux de l’univers. Et s’ils ne lui vouent pas un culte formel, s’ils ne s’adorent pas naïvement en lui, à l’exemple du théologien et de l’ignorant, c’est qu’ils ont passé par un processus critique,