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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/462

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c’est qu’ils se défient d’eux-mêmes, c’est qu’au fond de leur âme ils conservent un doute universel et incurable.

II

On a voulu expliquer le sentiment si tenace du substratum des choses en invoquant une incompatibilité d’essence entre le fait, manifestation du monde réel, et l’idée, manifestation du monde transcendant[1].

Empruntée à la vieille langue métaphysique, cette formule paraît aujourd’hui obscure et creuse. Essayons donc avant tout de l’exprimer en un langage plus clair ou, du moins, plus conforme aux conceptions scientifiques régnantes.

Il s’agirait d’une manière d’abîme qui sépare des choses elles-mêmes nos idées des choses. Or celles-ci sont conçues par la psychophysique moderne comme des systèmes de mouvements qui se développent en certains centres cérébraux, et les premières se définissent comme des systèmes mécaniques qui se produisent hors de ces centres, en des milieux distincts. Nous pouvons dire, par conséquent, que l’idée de substratum surgit en notre esprit et s’y fortifie selon la mesure exacte dans laquelle y surgit et s’y fortifie l’idée d’une différence spécifique entre ces deux variétés d’un même genre. En d’autres termes encore, l’incompatibilité invoquée entre le fait et l’idée, le réel et le transcendant, se ramène naturellement à l’archivieille séparation du « moi » et du « non-moi ».

Cette distinction classique conservera toujours une grande importance dans la vaste sphère des besoins pratiques et des notions que en dérivent. Mais en dehors de ces limites elle se montre dénuée de toute valeur intrinsèque. On s’en convainc aisément en recourant aux procédés de traduction scientifique employés plus haut.

En effet, ce qu’on appelle le « non-moi » se compose essentiellement de la nature extérieure, y compris notre organisme lui-même. Ce sont des systèmes de mouvements très compliqués qui se transmettent aux noyaux gris ou corps opto-striés des régions centrales du cerveau. Ici, ces mouvements déterminent de nouveaux mouvements dont la psycho physique moderne désigne l’ensemble sous le nom « d’idéation inconsciente ». Mais le mouvement transmis ou intérieur, le mouvement circonscrit par les limites étroites de la substance grise des couches optiques et des corps striés, tend sans cesse à redevenir le mouvement initial ou extérieur. Il engendre ce qu’on

  1. Voy., entre autres, Girard Philosophie scientifique, p. 227 et suivantes.