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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/527

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ANALYSES. — bernheim. Hypnotisme, Suggestion, etc.

de MM. Bernheim et Liégeois le démontrent suffisamment et les expériences que j’ai faites moi-même sur cette question ne m’ont pas laissé le moindre doute. Il est évident que nous n’avons jamais fait commettre que des simulacres de crimes, des crimes de laboratoire, a-t-on dit railleusement. Mais il faut bien avouer qu’il nous était difficile d’aller plus loin. Quand on voit des sujets révéler, sous l’influence de la suggestion, des secrets qu’ils ont intérêt à cacher, quand on les voit exécuter les actes qui répugnent le plus à leur caractère, quand on assiste à la lutte qui se livre dans leur esprit entre l’impulsion irrésistible qui les pousse et la révolte de leurs sentiments et de leurs idées, révolte qui finit presque toujours par céder, quand on accentue énergiquement la suggestion, le doute ne peut plus exister sur la réponse à faire à la question posée au début de ce paragraphe. Lorsqu’on voit par exemple, et le fait est rapporté par Gilles de la Tourette, d’après le Dr Bellanger, lorsqu’on voit une femme mariée se livrer à son hypnotiseur dans un accès de somnambulisme, devenir enceinte sans le savoir, prise enfin de folie quand la vérité lui apparaît, croit-on qu’il eût été bien difficile à son hypnotiseur de lui faire voler un porte-monnaie ?

Il est bien évident que la preuve absolue ne sera faite que le jour où un crime réel, commis par suggestion, aura été découvert. Pour ma part, je suis convaincu que ce jour n’est malheureusement pas éloigné. On aura beau reculer, se dérober en niant les faits ou en cherchant à en atténuer la portée, il faudra bien qu’un jour ou l’autre cette question soit étudiée sérieusement par les criminalistes et par les législateurs, et à cette question se joindra forcément la question plus vaste et plus grave encore de la responsabilité des criminels.

« Quand je vois deux enfants, dit M. Bernheim, élevés ensemble, soumis à la même éducation, vivant dans le même milieu, l’un manifester de bonne heure des instincts d’honnêteté et de moralité qui guideront tous les actes de son existence, l’autre s’affirmer d’emblée comme un vaurien sourd à toutes les exhortations, qui n’obéit qu’à ses impulsions mauvaises et sera toute sa vie un malfaiteur, quand je suis ces deux natures depuis leur naissance, je me demande si leur évolution morale n’était pas dans l’œuf comme leur évolution physique. Et je me dis : où est la responsabilité ? Quand je suis en présence d’un criminel, je me demande quelle était à l’origine la conformation native de son être moral ? Quelle part revient au terrain, à l’organisation, à la suggestibilité héréditaire ? Quelle part revient aux suggestions de l’éducation, du milieu, des lectures, des rêves, des personnes en contact avec lui, des événements de la vie ? Quelle était sa capacité de résistance ? Quelle part reste-t-il au libre arbitre ? Quel est le degré de responsabilité ?

« Je ne prétends pas désarmer la société. Elle a le droit de se défendre. Elle aie droit, dans l’intérêt de sa conservation, d’anéantir ou de rendre inoffensifs les éléments dangereux. Elle peut recourir à des mesures de préservation sociale ! Elle peut se garantir et pur des