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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/533

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ANALYSES. — Liébeault. Thérapeutique suggestive.

dans la loi de ces fluctuations que l’on trouve d’abord l’explication de la manière dont se forment les maladies, et ensuite celle de leur détermination heureuse ou fatale ; par conséquent, c’est aussi en cette loi que l’on trouve la théorie des guérisons par l’action des remèdes réagissant sur le physique et celles des cures s’effectuant par la réaction du moral. » Mais, qu’il me soit permis d’exprimer toute ma pensée ; l’explication de M. Liébeault est-elle en réalité une explication ? Qu’est-ce au fond que cette attention à laquelle il fait jouer un si grand rôle et qui constitue avec la sensibilité et la mémoire ce qu’il appelle quelque part le trépied psychologique ? Rien autre chose en somme que ce qu’on a appelé force nerveuse, influx nerveux ou de tel nom qu’on voudra lui donner, c’est-à-dire quelque chose de parfaitement inconnu dans son essence ? J’avoue, pour ma part, que je ne vois pas là une interprétation du mécanisme de la production des maladies et de la guérison par causes morales et par suggestion. Je n’y trouve que la pure et simple constatation d’un fait, fait intéressant et riche en conséquences et en applications, mais fait et non théorie.

Un exemple fera mieux saisir la portée de ma critique. Prenons le système circulatoire. Le sang peut se déplacer d’un point de l’organisme à l’autre, s’accumuler dans certains organes, en abandonner d’autres. Aura-t-on expliqué quelque chose, quand on aura dit que le sang se sera porté dans un organe sous une influence quelconque et aura produit une congestion de cet organe ? Non ; j’aurai simplement constaté un fait ; voilà tout. Mais où l’explication commence, le voici. Je dis : commence, car en science il n’y a jamais d’explication complète et résoudre une difficulté n’est pas autre chose au fond que soulever des difficultés nouvelles. Je sais que la congestion d’un organe a pour condition essentielle la dilatation des artères qui amènent le sang à cet organe. Cette dilatation artérielle elle-même peut tenir à plusieurs causes ; elle peut être due à la paralysie des nerfs moteurs des artères, nerfs vaso-moteurs ; elle peut être due à l’excitation d’autres nerfs, nerfs vaso-dilatateurs ; je néglige les autres causes qui peuvent déterminer cette dilatation artérielle. J’aurai expliqué la congestion si je démontre que dans le cas donné elle est due, je suppose, à l’excitation des nerfs vaso-dilatateurs, et c’est là un problème que le médecin peut avoir à se poser et qui n’est pas toujours facile à résoudre. Il est bien évident, comme je le disais tout à l’heure, que mon explication est incomplète et que je n’ai fait que reculer la difficulté. J’aurais maintenant à expliquer pourquoi cette excitation des nerfs vaso-dilatateurs s’est produite ? etc. Mais c’est déjà quelque chose que d’avoir, dans la production de la congestion, éliminé toutes les autres causes pour ne conserver que l’excitation des vaso-dilatateurs. Or, cette explication partielle, incomplète, dont nous sommes bien obligés de nous contenter provisoirement, je ne la trouve pas dans la théorie de M. Liébeault.

Heureusement que les faits sont là et ils s’inquiètent peu de nos théories et de nos hypothèses. L’effet thérapeutique de la suggestion