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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/501

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REVUE GÉNÉRALE. — études criminelles et pénales

cacité de ces causes dans le spectacle que nous donne ce pays de liberté consolidée, de vieille démocratie.

II

Anthropologie et statistique ayant, pour le moment, je le répète, dit leur dernier mot, l’heure est venue, ce semble, de travailler sur ces données, de construire avec ces matériaux. Aussi voit-on apparaître, çà et là, des essais de synthèse, parmi lesquels une place d’honneur est due à Crime et Suicide du Dr Corre[1]. Cet ouvrage, de 654 pages compactes, vraiment trop dense et trop débordant de faits et d’idées pour être résumé, n’est pas une compilation, mais une élaboration profonde et complexe. L’auteur est médecin, naturellement ; car c’est dans le corps médical maintenant, à quelques exceptions près, que s’élaborent les idées destinées à renouveler le droit pénal de demain. Ne nous en étonnons pas trop, cependant. Au fond, il en est toujours ainsi, c’est toujours de l’étranger, au sens national ou professionnel, ou religieux, ou politique du mot, que nous viennent les idées rénovatrices. Les médecins sont en train d’importer de nouvelles doctrines juridiques par la même raison que des chimistes tels que Pasteur leur ont enseigné à eux-mêmes de nouvelles doctrines médicales, par la même raison que les nouvelles méthodes ou machines agricoles, à l’usage des propriétaires ou des paysans, sont dues à des ingénieurs, que les nouvelles idées socialistes, à l’usage des ouvriers, sont dues à de vils bourgeois, que l’invention de la poudre, à l’usage des militaires, a été due, nous dit-on, à un moine[2], enfin par la même raison que les nouvelles idées des criminalistes italiens, pour rentrer dans notre sujet, leur viennent d’éléments anglais ou français, et n’en sont pas moins le ferment rénovateur des théories pénales qui éclosent en Angleterre, en France, en Hollande, en Belgique, en Russie.

Le Dr Corre, comme d’autres, a été stimulé par l’action de cette levure étrangère, mais il a réagi d’une façon très particulière. « Médecin par profession, sociologiste par tendance et par goût », et même, ce qui ne gâte rien, un peu, beaucoup archéologue, il ne s’est pas borné, comme il le dit modestement, à « se cantonner dans l’observation » des faits ; et, s’il a publié de très instructives monographies sur le Crime en pays créole, on sent constamment chez lui la préoccupation d’idées générales qu’il soumet à l’épreuve des faits observés. Dans son

  1. Crime et Suicide, par le Dr Corre (Paris, Doin, 1891). Me sera-t-il permis de mentionner aussi parmi les essais de synthèse ma Philosophie pénale, dont la 2e édition vient de paraître ?
  2. On peut lire, sur la série d’inventions accumulées dont l’invention de la poudre n’est que le dernier terme, éclatante fleur d’une tige obscure, l’étude récente de M. Berthelot (Revue des Deux Mondes, 15 août 1891). Il n’y arien qui confirme, il est vrai, mais rien qui contredise la légende de l’invention monacale.