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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/517

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REVUE GÉNÉRALE. — études criminelles et pénales

si l’on a pu refuser à la suggestion hypnotique elle-même le pouvoir de transformer un honnête homme en assassin ou en voleur, dénierons-nous à plus forte raison ce pouvoir à la suggestion follesque ? Je répondrais volontiers par un distinguo. En tant qu’elle agit sur les sentiments, la volonté, le caractère, la suggestion par la foule me paraît souvent remporter en puissance sur la suggestion par l’hypnotisme, mais celle-ci a incontestablement une action plus grande sur l’intelligence et les sens. L’influence hypnotique est plus brillante et plus superficielle ; l’autre est plus obscure et plus profonde, quoique passagère aussi.

L’appréciation et la répartition des responsabilités, quand il s’agit d’un crime collectif, tel que l’assassinat de M. de Moneys par les paysans d’Hautefaye, un jour de foire, ou l’assassinat de l’agent de police parisien Vincenzini par une bande de la Commune, soulèvent des difficultés que M. Sighele s’efforce de résoudre. En cela, il donne un excellent exemple à nos tribunaux et à nos cours d’assises qui ne me paraissent pas s’être donné autant de mal que lui pour dénouer ce problème. Et pourtant c’est bien souvent qu’il se pose devant nos magistrats : il n’est pas une grève, il n’est pas un soulèvement populaire quelconque, qui n’amène devant les juges ou les jurés trois ou quatre, cinq ou six co-auteurs de violences commises de complicité avec des centaines et des milliers d’autres individus non traduits en justice et souvent tout aussi dignes d’y figurer. Sortis du courant puissant où ils ont été pris, ou qu’ils ont paru conduire, ces quelques naufragés de l’émeute, épaves d’une vague à présent évaporée, sont tout changés, tout ahuris de ce qu’ils ont fait ; et le juge ou le juré qui les voit ainsi, en cet état d’isolement où ils sont manifestement maîtres de leur pensée et de leur conduite, et aussi bien dépourvus de tout prestige sur autrui, est porté à les juger toujours ou beaucoup plus ou beaucoup moins coupables qu’ils ne le sont. Il ne songe pas, en effet, à les replacer en ce milieu enfiévrant et momentané, en cet ouragan qui les a poussés ou qu’ils ont déchaîné. Il est trop porté à considérer un meurtre collectif comme une simple somme d’actes individuels et à croire chacun des inculpés capable de faire seul tout ou partie de ce qu’il a fait pendant l’émeute.

Mais peut-être me dira-t-on : Après tout, ce phénomène est bien moins exceptionnel qu’il ne semble ; est-ce que l’individu, même en agissant seul, n’est pas mû, à notre insu et à son insu, par une foule invisible et innombrable, celle de ses ascendants, de ses compatriotes, de ses éducateurs, dont les influences combinées, emmaganisées dans son cerveau, localisées peut-être en des cellules distinctes, se réveillent en sursaut et toutes ensemble à certains moments, véritable multitude intérieure fourmillante et fermentescible sous un crâne ? Or de deux choses l’une : ou, dans ce cas, nous dirons qu’il faut n’avoir nul égard à ces complices cachés et insaisissables et concentrer toute la culpabilité sur le seul auteur que nous puissions saisir ; mais alors la logique