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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/518

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nous oblige à décider de même dans le cas d’une émeute et à faire peser l’entière responsabilité du meurtre collectif sur les deux ou trois émeutiers, sur l’émeutier unique parfois, que nous parvenons à découvrir. Ou bien, à l’inverse, nous déciderons que l’émeutier arrêté doit supporter seulement une part, une faible part, de la culpabilité collective, et alors, pour être conséquents, nous devons admettre que le criminel isolé doit bénéficier d’une atténuation analogue, à raison des suggestions multiples qui l’ont déterminé au mal.

En fait, la justice pénale a successivement choisi ces deux alternatives : la première jadis, quand le conspirateur découvert entre mille payait pour tous, et quand on punissait un malfaiteur quelconque sans égard aux circonstances atténuantes ; la seconde à présent, et de plus en plus à mesure que s’accréditent des idées analogues à celles de MM. Thierry et Dortel sur la responsabilité atténuée.

Encore est-il bon de faire observer que l’assimilation précédente pèche, évidemment, par un point : les influences complexes de la foule cérébrale que chacun de nous porte en soi, ont été assimilées, identifiées presque à nous-mêmes, tandis que les impulsions de la foule extérieure sont étrangères au moi. À ce même point de vue, il importe de ne pas confondre une secte et une foule. Une secte est une foule triée et permanente, comme le groupe de tendances agrégées qui constituent la personne ; une foule est une secte très mêlée et très passagère. Les sectes se recrutent comme les foules, un peu au hasard, dans des classes, des familles, des nations différentes, en tout cas sans acception de famille ni de classe habituellement ; mais elles font subir à leurs conscrits un temps d’épreuve et de noviciat ; une foule reçoit des recrues aveuglément et sans préparation. Aussi les sectaires doivent-ils être jugés plus responsables que les émeutiers, pour des actes de même nature. Je condamnerais plus sévèrement un camorriste qu’un gréviste pour un assassinat commis dans des circonstances semblables. L’esprit de secte, — et aussi bien l’esprit de clan, comme en Corse, ou l’esprit de parti — exerce une action lente, continue et profonde, qui refond l’être, mais que l’être s’approprie ; l’esprit de foule traverse l’âme comme un orage l’air. Les sectaires sont aux émeutiers ce que les criminels par tempérament ou par métier sont aux criminels par occasion ou par colère. La délictuosité des foules est toujours impétueuse, explosible ; il n’y a pas d’individu aussi sujet à « s’emballer » qu’une foule, même composée de gens assez froids. La délictuosité des sectes est plus calculée, plus préméditée, plus réfléchie, ce qui ne veut pas dire d’ailleurs moins passionnée. Une foule peut massacrer des prisonniers ou des otages, piller des églises ou des palais ; une secte seule peut organiser ces massacres ou ces pillages.

Les foules pourraient servir — et je regrette que M. Sighele n’y ait point songé — à contrôler les idées lombrosiennes sur l’importance prépondérante des influences de race et de climat, des facteurs biologiques et physiques, dans la production des crimes. Si cette prépondérance est