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Mme CURIE. — LES NOUVELLES SUBSTANCES RADIOACTIVES.


disque métallique entouré d’une substance isolante solide (fig. 4) afin d’éviter que cette charge ne se disperse sans avoir pu être mesurée. Les rayons du
Fig. 4.
radium traversent l’isolant, sont absorbés par le disque D, et ce dernier se charge négativement. D’autre part, si le radium envoie dans l’espace de l’électricité négative, il doit se charger positivement. C’est ce que nous avons constaté en enfermant le radium dans une boîte isolante en paraffine ou en ébonite. L’électricité négative s’échappe avec les rayons en dehors de la boîte, et dans la boîte l’électricité positive s’accumule sur le radium (fig. 5).
Fig. 5.

Le radium ne peut pas se charger spontanément dans l’air, parce que sa charge est constamment dissipée par la conductibilité de l’air qui l’entoure, mais le radium placé dans un vide très parfait doit se charger spontanément à un potentiel extraordinairement élevé. Nous avons ainsi dans le radium le premier exemple d’un corps qui se charge spontanément d’électricité sans qu’on fasse rien pour cela.

Nous voyons donc qu’avec les substances radioactives nouvelles l’étude des rayons de Becquerel a fait un grand progrès. Nous connaissons maintenant des propriétés de ces rayons qu’il était difficile ou même impossible de découvrir avec les rayons uraniques à cause de leur faiblesse. L’analogie avec les rayons cathodiques et les rayons X a pu être poursuivie très loin. L’étude même des rayons cathodiques pourra sans doute en tirer grand profit, parce que, avec les rayons du radium, on dispose de rayons cathodiques qui se propagent à grande distance dans l’air et peuvent traverser des écrans très épais, ce que ne peuvent pas faire les rayons cathodiques des tubes à vide.

Mais là où nous ne sommes pas plus avancés qu’au moment où les rayons uraniques étaient seuls connus, c’est en ce qui concerne l’origine du rayonnement des corps radioactifs. Nous avons simplement préparé des substances qui ont une énergie de rayonnement incomparablement plus grande que l’uranium ; nous avons cherché à démontrer que ces substances contiennent probablement des éléments nouveaux, et c’est ce qui a été prouvé pour le radium ; mais la nature bizarre de ces éléments qui rayonnent l’énergie d’une façon continue reste inexpliquée, et nous restons là-dessus dans le domaine des hypothèses.

Diverses manières de voir sont possibles à ce sujet. L’une d’elles est basée sur l’analogie des rayons du radium avec les rayons cathodiques. Jusqu’ici, on a toujours trouvé que, partout où il y a de l’électricité, il y a de la matière ; les rayons cathodiques sont chargés d’électricité, cela porte à croire qu’ils sont matériels. Dans la théorie de Crookes, les rayons cathodiques sont une projection de matière électrisée venant de la cathode ; c’est la « matière radiante » de Crookes. L’expérience a montré que la vitesse des rayons cathodiques est très grande, elle n’est que trois fois plus faible que celle de la lumière. J.-J. Thomson a montré que si l’on considère les rayons cathodiques comme des particules matérielles électrisées, ces particules transportent à poids égal 1 000 fois plus d’électricité que ne le fait l’hydrogène mis en liberté par électrolyse. J.-J. Thomson en a conclu que chacune des particules a une masse 1 000 fois encore plus faible qu’un atome d’hydrogène. Ce ne seraient donc même plus les atomes libres de la chimie, mais des sous-atomes bien plus petits encore, et animés de vitesses prodigieuses. De même que dans un tube à vide ces particules s’échappent de la cathode, de même le radium en enverrait dans l’espace d’une façon continue. La matière radioactive serait donc de la matière où règne un état de mouvement intérieur violent, de la matière en train de se disloquer. S’il en est ainsi, le radium doit perdre constamment de son poids. Mais la petitesse des particules est telle que bien que la charge électrique envoyée dans l’espace soit facile à constater, la masse correspondante doit être absolument insignifiante ; on trouve par le calcul qu’il faudrait des millions d’années pour que le radium perde un équivalent en milligrammes de son poids. La vérification est impossible à faire.

La théorie matérialiste de la radioactivité est très­ séduisante. Elle explique bien les phénomènes de la radioactivité. Cependant, en adoptant cette théorie, il faut nous résoudre à admettre que la matière radioactive n’est pas à un état chimique ordinaire ; les atomes n’y sont pas constitués à l’état stable, puisque des particules plus petites que l’atome sont rayonnées. L’atome, indivisible au point de vue chimique, est divisible ici, et les sous-atomes sont en mouvement. La matière radioactive éprouve donc une transformation chimique qui est la source de l’énergie rayonnée ; mais ce n’est point une transformation chimique ordinaire, car les transformations chimiques ordinaires laissent l’atome invariable. Dans la matière radioactive, s’il y a quelque chose qui se modifie, c’est forcément l’atome, puisque c’est à l’atome qu’est attachée la radioactivité.