Page:Revue scientifique (Revue rose), série 4, année 39, tome 17, 1902.djvu/689

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« Dois-je parler de l’identification du personnage qui a donné son image sur le linceul ? »

Ici, j’ai déclaré reconnaître que je sortais tout à fait des questions dont l’Académie a pour mission de s’occuper. Je ne l’ai fait qu’en raison de l’intérêt qu’elle semblait prendre à mon exposé, et dont je lisais la preuve dans l’attention soutenue qu’elle voulait bien m’accorder ; et je l’ai fait en disant expressément que c’était à titre de complément, indépendant de la communication proprement dite, à la manière de ces causeries qui, dans d’autres Sociétés, se font en fin de séance, alors que le secrétaire a déposé la plume avec laquelle il prend des notes pour le procès-verbal.

« Nous avons d’une part le linceul, probablement imprégné d’aloès, ce qui nous place en Orient, à l’exclusion, paraît-il, de l’Égypte, et un crucifié qui a été flagellé, percé au flanc droit et couronné d’épines ; d’autre part, une relation participant de l’histoire, de la légende et de la tradition, qui nous montre le Christ ayant subi en Judée les divers traitements que nous lisons sur le cadavre dont le linceul porte l’image.

« N’est-il pas naturel de rapprocher ces deux séries parallèles et de les rapporter au même objet ?

« Ajoutons à cela que, pour que l’image se soit produite et n’ait point été ultérieurement détruite, il faut que le cadavre soit resté en présence du linceul au moins vingt-quatre heures, temps nécessaire pour la formation de l’image, et au plus quelques jours, après lesquels survient une putréfaction qui détruit l’image et finalement le linceul. Or c’est précisément ce que la tradition (plus ou moins apocryphe, je le veux bien) nous dit s’être passé pour le Christ, mort le vendredi et disparu le dimanche.

« Et si ce n’est pas le Christ, c’est donc quelque criminel de droit commun. Comment concilier cela avec l’expression admirable de noblesse que vous lisez sur cette figure ? »

J’ajoute ici qu’il y a là un concours de cinq circonstances (l’Orient fors l’Égypte, la plaie du flanc droit, la couronne d’épines, la durée de l’ensevelissement, le caractère de la physionomie), pour ne citer que les principales, qui sont passablement exceptionnelles. Supposons que pour chacune il y ait une chance sur cent pour qu’elle se soit rencontrée chez un autre personnage il y a donc seulement une chance sur 1005, soit sur dix milliards, pour qu’elles se soient rencontrées ensemble. Je ne donne pas cela, bien entendu, comme des nombres ayant une prétention quelconque à la précision, mais comme une figure destinée à montrer l’invraisemblance du concours de toutes ces conditions chez un autre personnage.

En tout cas, ceux qui veulent attribuer le linceul à un autre personnage sont dans les mêmes conditions que nous relativement aux autres difficultés, avec cette différence que leur personnage est de pure invention, n’ayant rien qui le désigne ni dans l’histoire, ni dans la tradition, ni dans la légende : leur hypothèse est plus gratuite que la nôtre puisqu’elle ne s’appuie sur rien du côté des commémoratifs.

Je reconnais volontiers qu’aucun des arguments donnés, soit pour prouver que l’image n’est pas une peinture faite par un faussaire, soit pour montrer comment elle a pu se produire, soit surtout pour identifier le personnage, n’offre les caractères d’une démonstration irréfutable ; mais on doit reconnaître que par leur ensemble ils constituent un faisceau imposant de probabilités, dont quelques-unes sont bien près d’être des preuves, corroborées en un point par des expériences positives, partout par une critique serrée ; et qu’il n’est pas scientifique de hausser les épaules en disant, pour se dispenser de discuter, qu’il n’y a là que des hypothèses gratuites : ce sont des hypothèses corroborées, dans la mesure où elles pouvaient l’être. Nous avons donné des raisons qui sont au moins des commencements de preuves. C’est aux adversaires de les réfuter. Si elles n’ont pas été accueillies par certaines personnes comme elles méritaient de l’être, c’est uniquement parce qu’on a indûment greffé sur cette question scientifique une question religieuse qui a échauffé les esprits et faussé la droite raison. Si, au lieu du Christ, il s’était agi d’un Sargon, d’un Achille ou d’un Pharaon quelconque, personne n’eût trouvé rien à redire.

En refusant d’admettre ma note aux Comptes rendus, on a oublié qu’il se trouve dans ce recueil des choses bien autrement hypothétiques, des théories (je peux les citer) qu’aucune expérience ne corrobore, et nombre d’autres qui sont appuyées sur des arguments bien autrement fragiles que ceux que nous apportons ici. Mais il ne s’agissait pas de choses touchant à la religion. Là est toute la différence.

On nous reproche de n’avoir pas vu le linceul, mais seulement des photographies, faites d’ailleurs dans des conditions qui en rendent la loyauté extrêmement probable. Mais nous ne l’avons jamais caché et nous avons fait tous nos efforts pour examiner le linceul lui-même. Une première tentative faite par l’intermédiaire du baron Manno a échoué. En terminant ma communication à l’Académie, j’ai hautement déclaré que nous n’avions pas vu le linceul, que c’était là une grave lacune comportant certaines réserves quant aux conclusions à tirer de l’argumentation ; et j’ai demandé à l’Académie de nommer une commission à l’effet d’obtenir l’autorisation de voir le linceul et d’en faire l’examen scientifique. Ce n’est point ma faute si cela m’a été refusé, non, d’ailleurs, par l’Académie, qui n’a point été consultée et qui peut-être en eût décidé autrement.

Dira-t-on qu’il eût fallu s’abstenir de toute recherche d’après les seules photographies ? Combien de travaux ont été faits sur les reproductions de documents ; et quel mal y a-t-il à se servir de ces reproductions quand on