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M. PIERRE TERMIER. — L’ATLANTIDE

ouest des Açores, avec de très brusques saillies dont quelques-unes s’approchent bien près de la surface de la mer ; plonge ensuite jusqu’à plus de 5 000 mètres, et même, sur un petit parcours, jusqu’à plus de 6 000 ; se redresse encore, soudainement, en un sursaut qui correspond au socle des Bermudes ; demeure enfoui sous 4 000 mètres d’eau jusqu’à une faible distance de la côte américaine, et se relève enfin, en une rampe rapide, vers le rivage.

Imaginons un instant que nous puissions vider entièrement l’océan Atlantique, l’assécher d’une façon totale ; et, cela fait, contemplons, de haut, le relief de son lit. Nous voyons deux grandes dépressions, deux vallées énormes s’allonger du nord au sud, parallèlement aux deux rivages, séparées l’une de l’autre par une zone médiane surélevée. La vallée de l’ouest, qui court le long de la côte américaine, est la plus large et la plus profonde des deux ; elle présente quelques fosses ovales, sorte de trous ou d’entonnoirs descendant à plus de 6 000 mètres au-dessous du niveau des rivages, et aussi de rares piliers — dont un correspondant aux Bermudes — qui, du fond des gouffres, montent hardiment vers la lumière. La vallée de l’est, le long de la côte européenne, puis de la côte africaine, nous apparaît plus étroite, moins profonde, mais beaucoup plus accidentée : et de nombreuses pyramides, les unes minces et fragiles comme celle de Madère, les autres massives comme celles qui portent les archipels des Canaries et du Cap Vert, se dressent çà et là, au milieu de la vallée ou près de son bord oriental. La zone médiane surélevée dessine à nos yeux un long promontoire, dont l’axe coïncide avec l’axe même de l’abîme atlantique, qui se courbe en S comme les deux vallées et comme les deux rivages, et qui, partant du Groenland et englobant dans sa masse l’Islande et les îles septentrionales, va s’amincissant vers le sud et finit en pointe sous le 70e degré de latitude australe. Dans la plus grande partie de son parcours, ce promontoire a une largeur moyenne d’environ 1 500 kilomètres. Loin d’être régulière et à courbure sphérique uniforme, sa surface est toute bossuée, hérissée de saillies, criblée de cavités, surtout dans la région des Açores, ce que nous appelons Açores n’étant que les sommets des plus hautes protubérances.

Il est certain que, dans cette vision d’ensemble de l’océan tari et desséché, nous observerions beaucoup d’autres choses, qui sont invisibles sous l’épaisseur des eaux. Nous verrions, non seulement la disposition longitudinale que je viens de décrire et qui nous a été révélée par les sondages, mais aussi les accidents transversaux, qui ne peuvent pas manquer d’exister et sur lesquels, à l’heure actuelle, nous ne savons à peu près rien, parce que les sondages ne sont pas encore assez nombreux. La carte de l’archipel des Açores montre clairement que les neuf grandes îles qui le composent s’alignent sur trois bandes parallèles, dirigées de l’est-sud-est à l’ouest-nord-ouest : et ces bandes sont jalonnées par les îles sur une longueur totale de près de 800 kilomètres. Nul doute que de tels alignements ne se prolongent très loin sous les ondes, et qu’ils n’aient une grande importance dans le modelé du fond océanique. Mais ils ne sont évidemment pas les seuls. Un jour viendra où les cartes des fonds de l’Atlantique seront tout à fait précises et détaillées : on verra alors des lignes de fractures et des bandes de plis traverser le vaste abîme, et courir d’Europe aux États-Unis, ou du Maroc aux Antilles, ou de la Sénégambie au continent sud-américain.

Donnons maintenant la parole à la Géologie. De même que l’œil du peintre perçoit tout un monde de couleurs et de reflets insoupçonné des autres hommes, l’œil du géologue est impressionné par des lueurs très vagues et très incertaines qui illuminent, pour lui seul, la nuit des gouffres, et la nuit, plus noire, du lointain passé. Et son oreille, sensible comme celle du musicien, vibre à des murmures, à des craquements, à des soupirs, qui viennent des profondeurs de la planète ou des profondeurs de l’histoire, et que la multitude prend pour l’absolu silence.

Voici un premier fait. La région orientale de l’océan Atlantique est, sur toute sa longueur et probablement d’un pôle à l’autre, une grande zone volcanique. Dans la dépression qui longe la côte africaine et la côte européenne, et dans la partie orientale de la bande surélevée qui occupe le milieu de la mer, les volcans abondent. Tous les piliers qui atteignent la surface de la mer y affleurent sous la forme d’îles volcaniques, ou portant des volcans. L’île Gough, Tristan da Cunha, Sainte-Hélène, l’Ascension, les îles du Cap Vert, les Canaries, la grande Madère et les îlots voisins, toutes les Açores, l’Islande, l’île de Jan-Mayen, sont, ou intégralement ou en majeure partie, formées de laves. Je dirai dans un instant comment certains dragages, en 1898, ont trouvé les laves, par des fonds de 3 000 mètres, sur une ligne allant des Açores à l’Islande et à 500 milles environ, ou 900 kilomètres, au nord des Açores. Un navigateur a constaté, en 1838, l’existence d’un volcan sous-marin, à l’équateur, par 22° environ de longitude ouest, c’est-à-dire sur la ligne qui joint l’Ascension à l’archipel du Cap Vert : des vapeurs chaudes sortaient des ondes, et des bas-fonds avaient pris naissance, différents de ceux qu’indiquaient les cartes. Dans les îles que je viens de nommer, beaucoup de volcans sont encore en activité ; ceux qui sont éteints paraissent éteints d’hier ; partout