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Page:Rey - Les mathématiques en Grèce au milieu du Vème siècle, 1935.djvu/7

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AU MILIEU du Ve SIÈCLE

sociale), surtout par l’intermédiaire de ses représentations du réel. Si ces représentations sont collectives (elles le sont pour l’immense part) elles ont encore bien plus de poids que leurs modalités individuelles, dans la reconstitution de la civilisation générale, et de l’évolution ou des évolutions de l’humanité.

Ainsi, je suis prêt à faire bon marché de l’utilité d’une histoire des sciences au point de vue — très étroit et très partiel — de leur avancement technique. Mais l’histoire des sciences est, un aveugle le verrait, pièce première de l’histoire des civilisations. En particulier l’histoire des idées philosophiques a des rapports étroits et évidents avec l’évolution générale d’une civilisation, qu’elle permette d’en atteindre l’esprit profond, dont elle est une résonance ou qu’elle ait influé directement sur l’histoire des esprits (les deux temps sont complémentaires : notre xviiie siècle). Mais peut-on comprendre l’évolution de la philosophie, dans sa majeure partie, sans l’histoire des sciences. On vient de parler du xviiie siècle, mais que dire de Platon, d’Aristote ? Je crois que cette histoire contribue, pour une large part, à donner et la signification de ces philosophies dans l’esprit de leurs auteurs et de leur temps, et l’esprit de ce temps lui-même, dans l’évolution de la civilisation.

Il n’est que trop visible qu’aussi bien par le côté matériel que par le côté intellectuel, la science d’une époque déteint jusque sur les manières de penser des masses. Certes, celles-ci restent très loin, pour la compréhension du contenu épistémologique, des savants et des gens éclairés. Mais, ce qui est bien plus important dans l’histoire générale, elles sont imprégnées d’un esprit foncier, encore une fois d’une représentation du réel, très humble, très vague, très indéterminée, tout ce qu’on voudra, mais qui est — avec un certain retard — fonction de l’esprit scientifique et des techniques de l’époque comme de son esprit religieux.


C’est que les sciences ne sont point, n’ont jamais été, même dans leurs plus humbles débuts, des techniques pures. La technique leur est un peu comme la virtuosité à la pensée musicale du compositeur, et à son intelligence par les vrais musiciens. La technique est un corps qui suppose pour vivre et se développer, un ressort interne, une âme. On comprend du reste, que je parle par métaphore. Toute science est toujours organisation et orga-