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sard, tel est à peu près tout le répertoire de « l’action » de nos plus éminents orateurs.

Sur l’art dramatique, nous ne voudrions présenter ici que deux observations : la première, c’est que le mouvement de l’action qui se suit, qui se déroule, acte par acte, scène par scène, débarrassée de tout élément étranger, supplée à ce que le mouvement de la parole, en prose ou en vers, et du geste, peut présenter d’insuffisamment déterminé. Mais on peut encore constater, sur ce terrain, à quel point l’intervention des sensations auditives et visuelles à une part esthétique importante. L’auteur conçoit, écrit la pièce, mais c’est l’acteur qui crée le rôle, et qui lui imprime si profondément son empreinte, qu’il faut à l’artiste qui lui succède une grande supériorité de talent pour le faire oublier.

La seconde observation nous permettra d’établir une des différences capitales qui séparent le drame de l’opéra. Dans l’art dramatique proprement dit, les propriétés des sons de la voix parlée ne nous permettent d’écouter qu’un seul personnage à la fois ; l’œil ne peut suivre dans leurs mouvements, dans leurs gestes, que deux acteurs, trois ou quatre au plus. De même, si les personnages mis en scène sont agités de sentiments ou de passions contradictoires, comme Oreste dont les Furies tourmentent le sommeil, comme don Juan qui exprime un amour qu’il ne ressent pas, l’art dramatique en est réduit à dépeindre successivement ces phénomène psychiques simultanés.

Dans l’art lyrique, au contraire, grâce à la faculté départie à la musique d’associer plusieurs mouvements, plusieurs parties, sans les confondre, il devient possible de représenter simultanément des émotions que la parole, la poésie ne pourrait exprimer que les unes après les autres. Dans le sextuor de Don Juan, la coquetterie naïve de Zerline, la douleur filiale d’Anna et d’Ottavio, la jalousie d’Elvire, les terreurs comiques de Leporello, les fureurs rustiques de Mazetto, se peignent à la fois, sans confusion aucune, dans l’âme de l’auditeur. De même dans le trio de Guillaume Tell, de l’Italiana. De même, dans un ordre inférieur par la qualité des idées musicales, du quatuor de Rigoletto, du finale de Lucia.

Pour la représentation des émotions collectives de tout un peuple, où jamais trouver rien de comparable à l’introduction d’Alceste, au chœur des Ténèbres de Moïse, au défi de Lohengrin ?

Aussi, quand nous voyons de grands génies proscrire de l’opéra — théoriquement du moins — tout ensemble vocal, sous prétexte qu’il n’est pas dans la nature, que plusieurs personnes parlent à la fois, ne pouvons-nous nous empêcher de penser qu’ils ôtent ainsi,